Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/555

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l’autre mais n’aient même pas une origine commune, la philosophie sera toujours une tentative faite par une pensée individuelle pour ranger dans un ordre conforme à elle-même la totalité de ses idées claires ou obscures et en prendre ainsi possession ; et toujours après ce travail fait, le jugeât-elle inachevé et inachevable, elle se considérera comme une expression plus approchée de la réalité totale.

§§ 50. Spinoza considère comme évident (voir plus loin, §§ 53 et 55. IV, et aussi la démonstration de la proposition 16, partie I, de l’Ethique), que de la définition dune chose quelconque, l’entendement peut déduire plusieurs propriétés appartenant nécessairement à cette chose et d’autant plus qu’il y a plus d’essence ou de perfection dans la chose définie. Ignore-t-il donc que dune définition donnée on ne peut tirer immédiatement que ce qu’on y a mis par avance et que. pour établir des propositions neuves, il est nécessaire dans les mathématiques de considérer conjointement (cf. § 53) plusieurs définitions. En aucune façon (voir, Lettre 83, la réponse faite à l’objection que lui adresse Tschirnhaus sur ce point) ; mais il faut distinguer entre les définitions ayant pour objet des êtres de raison comme les figures géométriques et les définitions des choses réelles : la multiplicité des unes comme des autres n’exclut évidemment pas la présence d’éléments communs (qu’il faut se garder de confondre avec des genres : voir Ethique, II, prop. 40) ; de plus, celle des secondes n’est pas une multiplicité irréductible à l’unité : l’idée adéquate d’une chose quelconque réellement existante enveloppe toutes les autres puisqu’elles sont toutes liées.

Tout le dogmatisme de Spinoza, par où il diffère tant de nous, consiste à croire que le réel peut être défini et l’on observera que ce dogmatisme se mêle d’agnosticisme. Le réel en soi ne peut être défini que par sa réalité même, c’est-à-dire son infinité : c’est une définition qui nous fait savoir qu’il est, non ce qu’il est : une définition dans laquelle l’existence est conçue abstraitement (cf. § 55, III) et qui ne fait pas connaître la nature de la chose définie : aussi n’en peut-on déduire que le principe de l’universelle nécessité non les choses qui sont nécessaires ; le cadre de la science est tracé mais il est vide. Seule la définition du réel par ses attributs (au sens spinoziste, peut fournir un point de départ à une tentative de déduction des choses concrètes ; or la définition par les attributs est, comme on sait, très incomplète, puisqu elle n’en fait connaître que deux (outre qu’elle est possible dans l’Ethique seulement après la démonstration des propositions 1 et 2 de la partie II et repose sur des axiomes indépendants).