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TRAITÉ

endroits et n’a aucune solidité. Si elle dure longtemps, elle le doit, non à elle-même mais à une autre puissance ; si elle surmonte de grands périls et si tout lui réussit heureusement, il lui est impossible de ne pas admirer, de ne pas adorer la puissance de Dieu (je parle ici de Dieu, en tant qu’il agit par des causes extérieures cachées, et non par la nature humaine et par l’âme), puisque enfin ce qui lui arrive est inattendu et va au delà de ses espérances, et par conséquent peut fort bien passer pour un miracle.

Les nations ne se distinguent donc les unes des autres que par le genre de société qui unit les citoyens et par les lois sous lesquelles ils vivent. Si donc la nation hébraïque a été élue par Dieu, ce n’est pas qu’elle se soit distinguée des autres par l’intelligence ou par la tranquillité de l’âme, mais bien par une certaine forme de société et par la fortune qu’elle a eue de faire de nombreuses conquêtes et de les conserver pendant une longue suite d’années. C’est ce qui résulte très-clairement de l’Écriture elle-même. Il suffit d’y jeter les yeux pour voir que les Hébreux n’ont surpassé les autres nations que par l’heureux succès de leurs affaires en tout ce qui touche la vie, les grands dangers qu’ils ont surmontés, tout cela par le secours extérieur de Dieu ; mais pour tout le reste, ils ont été égaux à tous les peuples de l’univers, et Dieu s’est montré pour tous également propice. Il est certain, en effet, que sous le rapport de l’entendement, ils n’ont eu, comme on l’a fait voir dans le chapitre précédent, que des idées très-vulgaires sur Dieu et la nature ; ce n’est donc point par cet endroit qu’ils ont été le peuple élu. Ce n’a pas été non plus par la vertu et la pratique de la vie véritable ; car ils n’ont pas surpassé de ce côté, sauf un très-petit nombre d’élus, le reste des peuples. Leur caractère de peuple choisi de Dieu et leur vocation viennent donc seulement de l’heureux succès temporel de leur empire et des avantages matériels dont ils ont joui, et nous ne voyons pas