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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

prît en bonne part et que les hommes qu’on nommait chez les gentils devins ou augures aient été de vrais prophètes, ceux que l’Écriture accuse et condamne ayant été de faux devins qui trompaient les gentils, exactement comme les faux prophètes trompaient les Juifs. C’est ce qui résulte d’ailleurs de plusieurs passages de l’Écriture. Nous sommes donc finalement amenés à cette conclusion, que le don de la prophétie n’était pas propre aux Juifs, mais commun à toutes les nations.

Les pharisiens soutiennent au contraire avec force que ce don de prophétie fut exclusivement réservé à leur nation ; et ils expliquent la connaissance de l’avenir qu’ont eue les autres nations par je ne sais quelle vertu diabolique (que n’invente pas l’esprit de superstition !). Leur principale preuve, tirée du Vieux Testament, c’est ce passage de l’Exode (chap. xxxiii, vers. 16) où Moïse dit à Dieu : « Comment connaîtra-t-on que votre peuple et moi nous avons trouvé grâce devant vos yeux ? Ne sera-ce pas quand vous marcherez avec nous, et que nous serons séparés, votre peuple et moi, de tous les autres peuples qui couvrent la surface de la terre ? » C’est de là qu’ils veulent conclure que Moïse demanda à Dieu d’être présent à son peuple, de se manifester à lui par des révélations prophétiques, et de ne faire cette grâce à aucune autre nation. Mais ne serait-il pas étrange que Moïse eût envié aux nations la présence de Dieu et qu’il eût osé adresser à Dieu une semblable prière ? Voici l’explication véritable : Moïse, voyant l’opiniâtreté de son peuple et l’esprit de révolte qui l’animait, jugea que son entreprise ne réussirait pas sans de très-grands miracles et des marques particulières du secours externe de Dieu, et même que les Juifs, privés d’un tel secours, ne pouvaient échapper à une perte certaine. Il implora donc le secours de Dieu, afin que les Juifs ne pussent pas douter que c’est à Dieu qu’ils devaient leur conservation. « Seigneur, dit-il (chap. xxxiv, vers. 9), si j’ai trouvé grâce devant vos yeux, que le Seigneur marche