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XIV
LA VIE DE SPINOZA.

portugais. Pour ce qui est de ses habits, il en prenait fort peu de soin, et ils n’étaient pas meilleurs que ceux du plus simple bourgeois. Un conseiller d’État des plus considérables, l’étant allé voir, le trouva en robe de chambre fort malpropre, ce qui donna occasion au conseiller de lui faire quelques reproches et de lui en offrir une autre ; Spinoza lui répondit qu’un homme n’en valait pas mieux pour avoir une plus belle robe. Il est contre le bon sens, ajouta-t-il, de mettre une enveloppe précieuse à des choses de néant ou de peu de valeur.

SES MANIÈRES, SA CONVERSATION ET SON DÉSINTÉRESSEMENT.

Au reste, si sa manière de vivre était fort réglée, sa conversation n’était pas moins douce et paisible. Il savait admirablement bien être le maître de ses passions. On ne l’a jamais vu ni fort triste ni fort joyeux. Il savait se posséder dans sa colère, et dans les déplaisirs qui lui survenaient, il n’en paraissait rien au dehors ; au moins, s’il lui arrivait de témoigner son chagrin par quelque geste ou par quelques paroles, il ne manquait pas de se retirer aussitôt pour ne rien faire qui fût contre la bienséance. Il était d’ailleurs fort affable et d’un commerce aisé, parlait souvent à son hôtesse, particulièrement dans le temps de ses couches, et à ceux du logis, lorsqu’il leur survenait quelque affliction ou maladie ; il ne manquait point alors de les consoler et de les exhorter à souffrir avec patience des maux qui étaient comme un partage que Dieu leur avait assigné. Il avertissait les enfants d’assister souvent à l’église au service divin, et leur enseignait combien ils devaient être obéissants et soumis à leurs parents. Lorsque les gens du logis revenaient du sermon, il leur demandait souvent quel profit ils y avaient fait et ce qu’ils en avaient retenu pour leur édification. Il avait une grande estime pour mon prédécesseur, le docteur Cordes, qui était un homme savant, d’un bon naturel et d’une vie exemplaire ; ce qui donnait occasion à Spinoza d’en faire souvent l’éloge. Il allait même quelquefois l’entendre prêcher, et faisait état surtout de la manière savante dont il expliquait l’Écriture et des applications solides qu’il en faisait. Il avertissait en même temps son hôte et ceux de la maison de ne manquer jamais aucune prédication d’un si habile homme.

Il arriva que son hôtesse lui demanda un jour si c’était son sen-