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TRAITÉ

conséquence, la même nécessité en vertu de laquelle il suit de la nature et de la perfection de Dieu qu’il pense une certaine chose telle qu’elle est, cette même nécessité, dis-je, fait que Dieu veut cette chose telle qu’elle est. Or, comme rien n’est nécessairement vrai que par le seul décret divin, il est évident que les lois universelles de la nature sont les décrets mêmes de Dieu, lesquels résultent nécessairement de la perfection de la nature divine. Si donc un phénomène se produisait dans l’univers qui fût contraire aux lois générales de la nature, il serait également contraire au décret divin, à l’intelligence et à la nature divines ; et de même si Dieu agissait contre les lois de la nature, il agirait contre sa propre essence, ce qui est le comble de l’absurdité. Je pourrais appuyer encore ma démonstration sur ce principe, que la puissance de la nature n’est, en réalité, que la puissance même et la vertu de Dieu, laquelle est le propre fond de l’essence divine ; mais ce surcroît de preuves est présentement superflu. Je conclus donc qu’il n’arrive rien dans la nature[1] qui soit contraire à ses lois universelles, rien, dis-je, qui ne soit d’accord avec ces lois et qui n’en résulte. Tout ce qui arrive se fait par la volonté de Dieu et son éternel décret : en d’autres termes, tout ce qui arrive se fait suivant des lois et des règles qui enveloppent une nécessité et une vérité éternelles. Ces lois et ces règles, bien que toujours nous ne les connaissions pas, la nature les suit toujours, et par conséquent elle ne s’écarte jamais de son cours immuable. Or il n’y a point de bonne raison d’imposer une limite à la puissance et à la vertu de la nature, et de considérer ses lois comme appropriées à telle fin déterminée et non à toutes les fins possibles ; car la puissance et la vertu de la nature sont la puissance même et la vertu de Dieu ; les lois et les règles de la nature sont les propres décrets de Dieu ; il faut donc

  1. Par nature, j’entends ici, non-seulement la matière avec ses affections, mais une infinité d’autres êtres. (Note de Spinoza.)