Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
THÉOLOGICO-POLITIQUE.

croire de toute nécessité que la puissance de la nature est infinie, et que ses lois sont ainsi faites qu’elles s’étendent à tout ce que l’entendement divin est capable d’embrasser. Nier cela, c’est soutenir que Dieu a créé la nature si impuissante et lui a donné des lois si stériles qu’il est obligé de venir à son secours, s’il veut qu’elle se conserve et que tout s’y passe au gré de ses vœux : doctrine aussi déraisonnable qu’il s’en puisse imaginer.

Maintenant qu’il est bien établi que rien n’arrive dans la nature qui ne résulte de ses lois, que ces lois embrassent tout ce que l’entendement divin lui-même est capable de concevoir, enfin que la nature garde éternellement un ordre fixe et immuable[1], il s’ensuit très-clairement qu’un miracle ne peut s’entendre qu’au regard des opinions des hommes, et ne signifie rien autre chose qu’un événement dont les hommes (ou du moins celui qui raconte le miracle) ne peuvent expliquer la cause naturelle par analogie avec d’autres événements semblables qu’ils sont habitués à observer. Je pourrais définir aussi le miracle : ce qui ne peut être expliqué par les principes des choses naturelles, tels que la raison nous les fait connaître ; mais comme les miracles ont été faits pour le vulgaire, lequel était dans une ignorance absolue des principes des choses naturelles, il est certain que les anciens considéraient comme miraculeux tout ce qu’ils ne pouvaient expliquer de la façon dont le vulgaire explique les choses, c’est-à-dire en demandant à la mémoire le souvenir de quelque événement semblable qu’on ait l’habitude de se représenter sans étonnement ; car le vulgaire croit comprendre suffisamment une chose, quand elle a cessé de l’étonner. Les anciens donc, et tous les hommes en général jusqu’à notre temps, ou peu s’en faut, n’ont point eu d’autre criterium des événements miraculeux que celui que je viens de dire ; il ne faut par

  1. Voyez l’Éthique, part. I, particulièrement les Propos. 16, 21, 22, 23, 29.