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TRAITÉ

nous apprend point de quelle sorte d’affligés il s’agit. Mais comme Jésus-Christ nous enseigne ensuite (Matthieu, chap. vi, vers. 33) de n’avoir d’autres soins que celui du royaume de Dieu et de sa justice, c’est-à-dire du souverain bien, il s’ensuit que, dans le passage cité, il a entendu désigner ceux qui s’affligent de ne point posséder le royaume de Dieu et de voir la justice négligée parmi les hommes. Ce sont là, en effet, les deux seules causes possibles d’affliction pour ceux qui n’aiment que le royaume de Dieu ou l’équité, et qui méprisent tous les autres biens que donne la fortune. De même encore, quand Jésus-Christ dit : Si quelqu’un te frappe à la joue droite, présente-lui la joue gauche, et tout ce qui suit, on ne peut pas croire que Jésus-Christ ait prononcé ces paroles à titre de législateur s’adressant à des juges ; car alors Jésus-Christ serait venu détruire la loi de Moïse, ce qui eût été contraire à sa mission, comme il le déclare lui-même expressément (Matthieu, chap. v, vers. 17). Il faut donc considérer ici le caractère de celui qui a prononcé ces paroles, le temps où il les a dites, et les personnes à qui il les a adressées. Or le Christ n’est point venu instituer des lois à titre de législateur, mais donner un enseignement moral à titre de docteur ; et ce qu’il voulait réformer, ce n’était point les actions extérieures, mais le fond des cœurs. Ajoutez à cela qu’il s’adressait à des hommes opprimés, qui vivaient dans un État corrompu, où la justice négligée faisait pressentir une dissolution prochaine. Or on remarquera que ces mêmes paroles que prononce Jésus au moment d’une ruine prochaine de Jérusalem, nous les trouvons dans Jérémie, qui les adressait aux Juifs dans une circonstance toute semblable, lors de la première dissolution de Jérusalem (voyez Lamentations, chap. iii, lett. Tet et Jot). Les prophètes n’ayant donc jamais enseigné cette doctrine que dans des temps de dissolution, sans qu’elle ait jamais pris le caractère d’une loi, comme nous savons d’ailleurs que Moïse, qui n’écrivait pas à une époque d’oppression et de malheur, et