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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

n’avait d’autre soin, remarquons-le bien, que d’établir un excellent corps de loi, comme Moïse, dis-je, tout en condamnant la vengeance et la haine du prochain, a cependant établi cette règle : Œil pour œil, dent pour dent, il est clair que le précepte de Jésus-Christ et de Jérémie sur le pardon des injures et le devoir de céder toujours aux méchants ne sont applicables qu’aux époques d’oppression et dans un État où la justice est négligée, et non point dans un État bien réglé. Car au contraire, dans un État bien réglé, où la justice est exactement maintenue, tout citoyen est obligé, pour conserver sa réputation d’homme juste, d’exiger devant le magistrat la réparation des torts qu’on a pu lui faire (voyez Lévitique, chap. v, vers. 1), non point par le désir de la vengeance (voyez ibid., chap. xi, vers. 17, 18), mais pour que la justice et les lois de la patrie soient défendues, et que les méchants ne jouissent pas de l’impunité. Or tout cela est parfaitement d’accord avec la raison naturelle. Je pourrais citer une foule d’exemples du même genre ; mais j’en ai assez dit pour éclaircir ma pensée et faire sentir l’utilité de ma méthode, ce qui est ici mon principal objet.

Je n’ai parlé jusqu’à ce moment que des passages de l’Écriture qui se rapportent à la pratique de la vie. Or l’interprétation de ces passages ne présente aucune difficulté sérieuse, et n’a jamais suscité aucune controverse entre les auteurs qui ont écrit sur la Bible. Il en est tout autrement de cette partie des livres saints qui a trait à des points de spéculation. Ici la voie devient beaucoup plus étroite. Les prophètes, en effet, n’étant pas d’accord entre eux sur les choses spéculatives (comme nous l’avons démontré ci-dessus), et leurs récits étant accommodés aux préjugés des temps divers où chacun d’eux a vécu, il s’ensuit qu’on n’a pas le droit d’éclaircir les points obscurs de tel et tel prophète à l’aide des passages plus clairs d’un autre prophète, à moins qu’il ne soit parfaitement établi qu’ils ont eu les mêmes sentiments.