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TRAITÉ

pureté ; et personne ne peut être contraint par la force à suivre les voies de la béatitude. Des conseils fraternels et pieux, une bonne éducation, et avant tout la libre possession de ses jugements, voilà les seuls moyens d’y conduire. Ainsi donc, puisque chacun a pleinement le droit de penser avec liberté, même en matière de religion, et qu’on ne peut concevoir que personne renonce à l’exercice de ce droit, il s’ensuit que chacun dispose d’une autorité souveraine et d’un droit absolu pour prendre parti sur les choses religieuses, et par conséquent pour les expliquer lui-même et en être l’interprète. Car de même que le droit d’interpréter les lois et la décision souveraine des affaires publiques n’appartiennent au magistrat que parce qu’elles sont du droit public, de même chaque particulier a une autorité absolue pour décider de la religion et pour l’expliquer, parce qu’elle est du droit particulier. Il s’en faut donc beaucoup qu’on puisse inférer de l’autorité qu’exerçaient jadis les pontifes hébreux dans l’interprétation des lois du pays, que le pontife romain ait le même droit pour interpréter la religion ; tout au contraire, on est mieux fondé à en conclure que chacun a ce droit pour ce qui le concerne, et nous tirons de là une preuve nouvelle de l’excellence de notre méthode. Car puisque chacun a le droit d’interpréter l’Écriture, il en résulte que la seule règle dont il faille se servir, c’est la lumière naturelle commune à tous les hommes, et par suite que toute lumière surnaturelle, toute autorité étrangère, n’y sont nullement nécessaires. Il ne faut point en effet que l’interprétation des livres saints soit si difficile qu’elle ne puisse être pratiquée que par de très-subtils philosophes ; il faut au contraire qu’elle soit proportionnée à la portée commune et à l’ordinaire capacité des esprits ; or c’est là justement le caractère de notre méthode, puisque nous avons montré que ce n’est point à elle qu’il faut s’en prendre de toutes les difficultés qui se rencontrent dans l’explication des livres saints, mais à la négligence des hommes.