Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/337

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ni gouvernement ni droit sur les sujets, ou bien que ce droit s’étend nécessairement à tous les motifs qui peuvent déterminer les hommes à obéir ; et par suite, toutes les actions des sujets conformes aux ordres du souverain, qu’elles soient dictées par l’amour ou par la crainte, ou, ce qui est plus fréquent, par l’espoir et la crainte à la fois, ou par le respect, sentiment composé de crainte et d’admiration, ou enfin par quelque autre motif, doivent être considérées comme des marques de soumission au gouvernement et non comme de purs caprices de l’individu. Ce qui met encore ce principe en évidence, c’est que l’obéissance ne concerne pas tant l’action extérieure que l’action intérieure de l’âme : et c’est pourquoi celui-là est le plus complètement soumis à autrui, qui se résout de son plein gré à exécuter les ordres d’autrui, et par suite celui-là exerce le souverain empire qui règne sur l’âme de ses sujets. Si le souverain empire appartenait à ceux qui inspirent le plus de crainte, il appartiendrait certainement aux sujets des tyrans, qui sont pour lui-même un objet d’épouvante. Ensuite, bien qu’on ne commande pas à l’esprit comme on commande à la langue, cependant les esprits dépendent en quelque façon du souverain, qui, de mille manières, peut faire en sorte que la plus grande partie des hommes croient, aiment, haïssent, etc., à son gré. Aussi, quoique le souverain ne puisse proprement commander ces dispositions de l’esprit, souvent cependant elles se produisent, comme l’atteste abondamment l’expérience, par le fait du pouvoir, sous son impulsion, c’est-à-dire à son gré ; et l’intelligence ne répugne pas à concevoir des hommes recevant du gouvernement leurs croyances, leurs amitiés, leurs haines, leurs dédains, et en général toutes les passions dont ils sont agités.

Cependant, bien que de cette manière nous concevions le gouvernement disposant d’une assez grande puissance, il ne saurait jamais être assez fort pour étendre un pouvoir absolu sur toutes choses ; c’est ce que j’ai démontré, je pense, avec une clarté suffisante. Maintenant, quelle