Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/338

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devrait être la constitution d’un gouvernement qui voudrait obtenir sécurité et durée, j’ai déjà dit qu’il n’était pas dans mon dessein de l’expliquer. Cependant, pour atteindre le but que je me propose, j’indiquerai les dispositions que Dieu révéla à Moïse relativement à cet objet. J’examinerai ensuite l’histoire du peuple hébreu et ses vicissitudes, par où l’on verra au prix de quelles concessions le souverain pouvoir doit acheter la sécurité et la prospérité de l’État.

Que la conservation de l’État dépende de la fidélité des sujets, de leurs vertus, de leur persévérance dans l’exécution des ordres émanés du pouvoir, c’est ce que la raison et l’expérience enseignent avec une parfaite évidence ; mais par quels moyens, par quelle conduite, le gouvernement maintiendra-t-il dans le peuple la fidélité et les vertus, c’est ce qu’il n’est pas aussi facile de déterminer. Tous en effet, gouvernants et gouvernés, sont des hommes, et partant naturellement enclins aux mauvaises passions. C’est au point que ceux qui ont quelque expérience de la multitude et de cette infinie variété d’esprits désespèrent presque d’atteindre jamais le but ; ce n’est pas en effet la raison, mais les passions seules qui gouvernent la foule, livrée sans résistance à tous les vices et si facile à corrompre par l’avarice et par le luxe. Chaque homme s’imagine tout savoir, veut tout gouverner d’après l’inspiration de son esprit, et décider de la justice ou de l’injustice des choses, du bien et du mal, selon qu’il en résulte pour lui profit ou dommage ; ambitieux, il méprise ses égaux et ne peut supporter d’être dirigé par eux ; jaloux de l’estime ou de la fortune, deux choses qui ne sont jamais également réparties, il désire le malheur d’autrui et s’en réjouit ; à quoi bon achever cette peinture ? Qui ne sait combien le dégoût du présent, l’amour des révolutions, la colère effrénée, la pauvreté prise en mépris, inspirent souvent de crimes aux hommes, s’emparent de leurs esprits, les agitent et les bouleversent ? Prévenir tous ces maux,