Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/340

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et placé au rang des dieux, et qu’il voulut avoir ses temples, ses statues, ses flammes, ses prêtres, son culte (Tacite, Annales, liv. I). Alexandre voulut être salué fils de Jupiter, et cela par sagesse et non par orgueil, comme le prouve assez sa réponse aux reproches d’Hermolaüs : « N’était-ce pas, dit-il, une chose ridicule qu’Hermolaüs exigeât de moi que je reniasse Jupiter, dont l’oracle me proclame son fils ! Disposai-je donc de la réponse des dieux ? Le dieu m’a offert le nom de son fils ; l’état des affaires me faisait une loi de l’accepter ; puissent les Indiens, eux aussi, me considérer comme un dieu ! C’est la renommée qui décide du sort des batailles, et souvent une croyance erronée a joué le rôle de la vérité. » (Quinte-Curce, liv. VIII, chap. 8). Ici Alexandre laisse voir clairement les motifs qui le portent à tromper le vulgaire. C’est aussi ce que fait Cléon dans le discours où il s’efforce de persuader aux Macédoniens de se soumettre aux volontés du roi. Après avoir célébré avec admiration la gloire d’Alexandre, après avoir récapitulé ses hauts faits, et par là donné à l’illusion qu’il veut répandre les apparences de la vérité, il arrive à montrer les avantages de cette superstition : « Ce n’est pas seulement par piété, c’est aussi par prudence que les Perses placent leurs rois au rang des dieux : la majesté, voilà la sauvegarde des rois. » Et il termine en disant que lui-même, quand le roi entrera dans la salle du festin, il se prosternera à terre ; que tous les soldats doivent en faire autant, ceux surtout qui prennent conseil de la sagesse (voyez le même auteur, liv. VIII, chap. 5). Mais les Macédoniens étaient trop éclairés pour être dupes ; et il n’est pas d’hommes, à moins qu’ils ne soient entièrement barbares, qui se laissent tromper si grossièrement, et qui de sujets consentent à devenir esclaves et à renoncer à eux-mêmes. D’autres peuples cependant se laissèrent persuader que la majesté des rois est chose sacrée, qu’ils représentent Dieu sur la terre, sont envoyés par Dieu et ne dépendent pas du suffrage et de l’assentiment des hommes, qu’une providence particulière veille sur