Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/339

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constituer le gouvernement de façon à ne point laisser de place à la fraude, établir enfin un tel ordre de choses que tous les citoyens, quels que soient leur caractère et leur esprit, sacrifient leurs intérêts au public, voilà l’ouvrage, voilà la difficile mission du pouvoir. On s’est livré à mille recherches, on s’est épuisé en combinaisons qui n’ont pas empêché que les périls de l’État ne vinssent toujours du dedans plutôt que du dehors, et que les gouvernants n’eussent plus à craindre leurs concitoyens que les ennemis. Témoin la république romaine, invincible à ses ennemis, si souvent vaincue et misérablement opprimée par ses propres citoyens, principalement dans la guerre civile de Vespasien contre Vitellius. On peut sur ce point s’en rapporter à Tacite, qui dans ses Histoires (liv. IV, init.) dépeint le déplorable aspect de Rome à cette époque. — « Alexandre (dit Quinte-Curce à la fin du livre VIII) croyait plus à l’autorité de son nom sur les ennemis que sur ses concitoyens, puisqu’il les jugeait capables de ruiner toute sa puissance, etc., et que, redoutant le destin qui l’attendait, il parlait ainsi à ses amis : Vous, défendez-moi contre la fourberie et contre les pièges des miens, la guerre n’aura ni dangers ni hasards que je n’affronte hardiment. Philippe eut moins à craindre sur le champ de bataille qu’au milieu du théâtre : il échappa souvent aux mains des ennemis, et tomba sous les coups des siens. Rappelez-vous la mort de vos rois : combien plus sont morts de la main de leurs sujets que de celle des ennemis ! » (voyez Quinte-Curce, liv. IX, chap. 6). Voilà pourquoi les rois qui avaient usurpé le pouvoir, dans l’intérêt de leur sécurité, se sont efforcés de persuader aux hommes qu’ils étaient issus de la race des dieux immortels. Ils pensaient sans doute que leurs sujets et tous les hommes, les considérant non plus comme leurs pareils, mais comme des dieux, se laisseraient volontiers gouverner par eux et leur abandonneraient facilement leur liberté. C’est ainsi qu’Auguste persuada aux Romains qu’il descendait d’Énée, considéré comme fils de Vénus