Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/355

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sidérée comme un acte pieux, n’a pas d’égale pour la violence et l’opiniâtreté. Ajoutez à cela une cause générale qui enflamme de plus en plus la haine, à savoir, la réciprocité ; car les autres nations durent avoir en retour pour les Juifs la haine la plus violente. Qu’on réunisse maintenant toutes ces circonstances, la liberté dans l’État, l’amour de la patrie porté jusqu’à la religion, à l’égard des autres peuples un droit absolu et une haine non-seulement permise mais pieuse, l’habitude de voir des ennemis partout, la singularité des mœurs et des coutumes, combien tout cela ne dut-il pas contribuer à affermir l’âme des Hébreux et les préparer à tout supporter pour la patrie avec une constance et un courage peu communs ! c’est ce qu’enseigne clairement la raison et ce qu’atteste l’expérience. Jamais, en effet, tant que la ville capitale fut debout, les Hébreux ne purent supporter la domination étrangère, et c’est pourquoi on appelait Jérusalem la cité rebelle (voyez Hezras, chap. IV, vers. 12, 15). Le second empire (qui fut à peine une ombre du premier, après que les pontifes eurent usurpé le pouvoir souverain) ne put être que difficilement détruit par les Romains ; c’est ce que Tacite, livre II des Histoires, atteste par ces paroles : Vespasien avait terminé la guerre judaïque en abandonnant le siège de Jérusalem, entreprise pénible et ardue, à cause du caractère de la nation et de l’opiniâtreté de ses superstitions, bien qu’il ne restât pas aux assiégés assez de force pour supporter les suites d’un siège. Mais outre ces circonstances dont l’appréciation dépend un peu du caprice de l’opinion, il y avait encore dans cet état quelque chose de particulier et de très-puissant qui dut retenir les citoyens dans le devoir et éloigner de leur esprit toute pensée de défection, tout désir d’abandonner la patrie, je veux parler de l’intérêt, qui dirige et anime toutes les actions humaines. Et cela, dis-je, était particulier à cet État. C’est que nulle part et dans aucun État les citoyens ne jouissaient de leurs biens avec des droits égaux à ceux des Hébreux qui possédaient une part de terres et de