Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/356

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champs égale à celle du chef, et demeuraient éternellement maîtres de la part qui leur était échue. Quelqu’un pressé par le besoin vendait-il son fonds ou sa terre, le jubilé arrivé il rentrait complètement en possession ; et toutes choses étaient tellement disposées que personne ne pût aliéner le bien-fonds qui était sa propriété. Ensuite la pauvreté ne pouvait être nulle part aussi facile à supporter que dans un pays où la charité envers le prochain, c’est-à-dire de citoyen à citoyen, devait être pratiquée comme un acte souverainement pieux et comme l’unique moyen de se rendre Dieu propice. Il n’y avait donc de bonheur pour les Hébreux qu’au sein de leur patrie ; hors de là ils ne pouvaient trouver que dommage et opprobre. Quoi de plus merveilleusement propre, non-seulement à retenir les citoyens sur le sol de la patrie, mais aussi à les préserver des guerres civiles, en bannissant tout sujet de querelles et de discordes, que de reconnaître pour souverain, non pas un égal, mais Dieu seul, et de considérer comme un acte de souveraine piété cette charité, cet amour de citoyen à citoyen, qui s’alimentait sans cesse de la haine que les Juifs portaient aux autres nations, et que celles-ci leur renvoyaient ? Ce qui n’était pas non plus d’une médiocre importance, c’est cette discipline qui les pliait de bonne heure à une obéissance absolue, obligés qu’ils étaient de se soumettre en toutes choses aux prescriptions invariables de la loi. Ainsi il n’était permis à personne de labourer à son gré, mais seulement à de certaines époques et dans de certaines années déterminées, avec une seule et même espèce de bêtes de trait. De même, il n’était permis de semer, de moissonner, que d’une certaine manière et à une certaine époque. Leur vie enfin était comme un perpétuel sacrifice à l’obéissance. (Sur ce sujet, voyez notre chap. V : De l’usage des cérémonies.) Ainsi habitués à des pratiques invariablement les mêmes, cette servitude dut leur paraître la vraie liberté. Personne ne désirait ce qui était défendu, mais bien ce qui était ordonné par la loi. Mais ce qui ne