Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/359

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tout entier, à l’exception des Lévites, ayant adoré le veau d’or, les premiers-nés furent répudiés par Dieu et déclarés souillés ; les Lévites furent choisis à leur place. Or, plus je considère cette modification dans la constitution, plus je songe aux paroles de Tacite, que dans ce temps-là Dieu songea moins à la prospérité du peuple qu’à la vengeance (Hist., I, 3), et je ne puis assez m’étonner que la colère céleste ait été assez grande pour que Dieu se soit servi des lois, qui n’ont d’ordinaire d’autre but que la gloire, le salut et la sécurité du peuple tout entier, comme d’un instrument de vengeance et de châtiment général, à tel point qu’elles aient paru moins des lois accommodées au bien-être du peuple que des peines et des supplices infligés à la nation. Tous les dons en effet que les citoyens étaient obligés de faire aux Lévites et aux prêtres, la nécessité de racheter les premiers-nés, de payer un certain impôt par tête, le privilège exclusif pour les Lévites d’approcher des choses sacrées, tout cela accusait sans cesse le peuple et lui rappelait son impureté primitive et la réprobation dont il était l’objet. Les Lévites d’ailleurs l’accablaient sans cesse de mille reproches. Car il n’est pas douteux qu’au milieu de cette multitude de Lévites il ne se rencontrât un grand nombre de misérables théologiens, véritablement intolérables. Et de là chez le peuple l’habitude d’observer d’un œil ennemi les actions des Lévites, qui après tout étaient des hommes, et, comme il arrive, de les accuser tous du crime d’un seul. Par suite, de perpétuelles rumeurs. Ajoutez l’obligation de nourrir des hommes oisifs, odieux, et qui ne se rattachaient point au peuple par les liens du sang, charge qui paraissait particulièrement pesante quand les vivres étaient chers. Les Lévites étant donc plongés dans l’oisiveté, les miracles éclatants ayant cessé, enfin les pontifes n’étant plus des hommes d’un choix sévère, faut-il s’étonner que l’esprit religieux d’un peuple irrité à la fois et avare ait commencé à se refroidir et à s’éloigner peu à peu d’un culte qui, bien