Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/380

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décrets du souverain, qui doit seul diriger les affaires publiques ; par conséquent, personne ne saurait mettre véritablement en pratique la piété, ni obéir à Dieu, qu’en se soumettant à tous les décrets du souverain. Ces considérations sont d’ailleurs confirmées par la pratique. Le souverain a-t-il jugé digne de mort, ou déclaré ennemi, soit un citoyen, soit un étranger, un simple citoyen, ou un homme revêtu de quelque autorité publique ? il est par là même défendu aux sujets du gouvernement de lui prêter secours. C’est ainsi que les Hébreux, auxquels il était ordonné d’aimer le prochain comme eux-mêmes, étaient obligés de livrer au juge celui qui s’était rendu coupable de quelque action contraire à la loi (voyez le Lévitique, chap. V, vers. 1, et le Deutéronome, chap. XIII, vers. 8, 9) ; et s’il était condamné à mourir, de le tuer (voyez le Deutéronome, chap. XVII, vers. 7). Ensuite, pour conserver la liberté qu’ils avaient conquise, pour continuer de jouir d’un droit absolu sur les terres qu’ils occupaient, les Hébreux durent, comme nous l’avons montré, chap. XVII, accommoder la religion à leur gouvernement particulier seul, et se séparer de toutes les autres nations. Et voilà pourquoi on leur dit : Aime ton prochain, hais ton ennemi (voyez Matthieu, chap. V, vers. 43). Lorsqu’ils eurent perdu le droit de se gouverner, et qu’ils furent conduits en captivité en Babylonie, Jérémie leur recommanda de veiller au salut de la ville dans laquelle ils étaient captifs ; et lorsque le Christ prévit leur dispersion dans tout l’univers, il leur recommanda à tous de pratiquer la piété d’une manière absolue. Tout cela ne montre-t-il pas jusqu’à la dernière évidence que la religion fut toujours accommodée au salut de l’État ? Quelqu’un fera cette question : De quel droit donc les disciples du Christ, hommes privés, se mirent-ils à prêcher la religion ? Je réponds qu’ils le firent en vertu du pouvoir qu’ils avaient reçu du Christ contre les esprits impurs (voyez Matthieu, chap. X, vers. 1). J’ai expressément averti ci-dessus, à la fin du chapitre XVI, que c’est