Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/479

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que le pouvoir suprême reviendrait dans les mains de la multitude, révolution décisive et partant très-périlleuse. Quant à ceux qui prétendent que le Roi, par cela seul qu’il est le maître de l’empire et le possède avec un droit absolu, peut le transmettre à qui il lui plait et choisir à son gré son successeur, et qui concluent de là que le fils du Roi est de droit héritier de l’empire, ceux-là sont assurément dans l’erreur. En effet, la volonté du Roi n’a force de droit qu’aussi longtemps qu’il tient le glaive de l’État ; car le droit se mesure sur la seule puissance. Le Roi donc peut, il est vrai, quitter le trône, mais il ne peut le transmettre à un autre qu’avec l’assentiment de la multitude, ou du moins de la partie la plus forte de la multitude. Et pour que ceci soit mieux compris, il faut remarquer que les enfants sont héritiers de leurs parents, non pas en vertu du droit naturel, mais en vertu du droit civil ; car si chaque citoyen est maître de certains biens, c’est par la seule force de l’État. Voilà pourquoi la même puissance et le même droit qui fait que l’acte volontaire par lequel un individu a disposé de ses biens est reconnu valable, ce même droit fait que l’acte du testateur, même après sa mort, demeure valable tant que l’État dure ; et en général chacun, dans l’ordre civil, conserve après sa mort le même droit qu’il possédait de son vivant, par cette raison déjà indiquée que c’est par la puissance de l’État, laquelle est éternelle, et non par sa puissance propre, que chacun est maître de ses biens. Mais pour le Roi, il en est tout autrement. La volonté du Roi, en effet, est le droit civil lui-même, et l’État, c’est le Roi. Quand le Roi meurt, l’État meurt en quelque sorte ; l’état social revient à l’état de nature et par conséquent le souverain pouvoir retourne à la multitude qui, dès lors, peut à bon droit faire des lois nouvelles et abroger les anciennes. Il est donc évident que nul ne succède de droit au Roi que celui que veut la multitude, ou bien, si l’État est une théocratie semblable à celle des Hébreux, celui que Dieu a choisi par l’organe d’un prophète. Nous pourrions