Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/483

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servent un État civilisé et celles qui le détruisent, la forme de gouvernement monarchique décrite plus haut est la meilleure qui se puisse concevoir. Mais je craindrais, en développant cette preuve expérimentale, de causer un grand ennui au lecteur. Je ne veux pas du moins passer sous silence un exemple qui me paraît digne de mémoire ; c’est celui de ces Aragonais, qui, pleins d’une fidélité singulière envers leurs rois, surent avec une égale constance conserver intactes leurs institutions nationales. Quand ils eurent secoué le joug des Maures, ils résolurent de se choisir un roi. Mais ne se trouvant pas d’accord sur les conditions de ce choix, ils résolurent de consulter le souverain Pontife romain. Celui-ci, se montrant en cette occasion un véritable vicaire du Christ, les gourmanda de profiter si peu de l’exemple des Hébreux et de s’obstiner si fort à demander un roi ; puis il leur conseilla, au cas où ils ne changeraient pas de résolution, de n’élire un roi qu’après avoir préalablement établi des institutions équitables et bien appropriées au caractère de la nation, mais surtout il leur recommanda de créer un conseil suprême pour servir de contre-poids à la royauté (comme étaient les éphores à Lacédémone) et pour vider souverainement les différends qui s’élèveraient entre le Roi et les citoyens. Les Aragonais, se conformant à l’avis du Pontife, instituèrent les lois qui leur parurent les plus équitables et leur donnèrent pour interprète, c’est-à-dire pour juge suprême, non pas le Roi, mais un conseil appelé Conseil des Dix-sept, dont le président porte le nom de Justice (el Justiza). Ainsi donc c’est el Justiza et les Dix-sept, élus à vie non par voie de suffrage, mais par le sort, qui ont le droit absolu de révoquer ou de casser tous les arrêts rendus contre un citoyen quel qu’il soit par les autres conseils, tant politiques qu’ecclésiastiques, et même par le Roi, de sorte que tout citoyen aurait le droit de citer le Roi lui-même devant ce tribunal. Les Dix-sept eurent, en outre, autrefois le droit d’élire le Roi