Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/484

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et le droit de le déposer ; mais après de longues années, le roi don Pèdre, surnommé Poignard, à force d’intrigues, de largesses, de promesses et de toutes sortes de faveurs, parvint enfin à faire abolir ce droit (on dit qu’aussitôt après avoir obtenu ce qu’il demandait, il se coupa la main avec son poignard en présence de la foule, ou du moins, ce que j’ai moins de peine à croire, qu’il se blessa la main en disant qu’il fallait que le sang royal coulât pour que des sujets eussent le droit d’élire le Roi). Les Aragonais toutefois ne cédèrent pas sans condition : ils se réservèrent le droit de prendre les armes contre toute violence de quiconque voudrait s’emparer du pouvoir à leur dam, même contre le Roi et contre le prince héritier présomptif de la couronne, s’il faisait un usage pernicieux de l’autorité. Certes, par cette condition ils abolirent moins le droit antérieur qu’ils ne le corrigèrent ; car, comme nous l’avons montré aux articles 5 et 6 du chapitre IV, ce n’est pas au nom du droit civil, mais au nom du droit de la guerre que le roi peut être privé du pouvoir et que les sujets ont le droit de repousser la force par la force. Outre les conditions que je viens d’indiquer, les Aragonais en stipulèrent d’autres qui n’ont point de rapport à notre sujet. Toutes ces institutions établies du consentement de tous se maintinrent pendant un espace de temps incroyable, toujours observées avec une fidélité réciproque par les rois envers les sujets et par les sujets envers les rois. Mais après que le trône eut passé par héritage à Ferdinand de Castille, qui prit le premier le nom de roi catholique, cette liberté des Aragonais commença d’être odieuse aux Castillans qui ne cessèrent de presser Ferdinand de l’abolir. Mais lui, encore mal accoutumé au pouvoir absolu et n’osant rien tenter, leur fit cette réponse : J’ai reçu le royaume d’Aragon aux conditions que vous savez, en jurant de les observer religieusement, et il est contraire à l’humanité de violer la parole donnée ; mais, outre cela, je me suis mis dans l’esprit que mon trône ne serait stable qu’autant qu’il y aurait sécurité