Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/49

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génie, jaloux du droit qu’ils croient avoir d’être infaillibles dans leur choix, crient contre un bruit qui les offense, et n’oublient rien de ce qu’ils savent pour l’étouffer dans sa source. Mais quoi qu’ils fissent, le mal croissait de telle sorte qu’on était sur le point de voir une guerre civile dans l’empire des lettres, lorsqu’il fut arrêté qu’on prierait notre philosophe de s’expliquer ouvertement à l’égard de M. Descartes. M. de Spinoza, qui ne demandait que la paix, donna volontiers à ce travail quelques heures de son loisir et le fit imprimer l’an 1663.

Dans cet ouvrage il prouva, géométriquement, les deux premières parties des Principes de M. Descartes [1], de quoi il rend raison dans la préface par la plume d’un de ses amis [2]. Mais quoi qu’il ait pu dire à l’avantage de ce célèbre auteur, les partisans de ce grand homme, pour le justifier de l’accusation d’athéisme, ont fait depuis tout ce qu’ils ont pu pour faire tomber la foudre sur la tête de notre philosophe, usant en cette occasion de la politique des disciples de saint Augustin, qui, pour se laver du reproche qu’on leur faisait de pencher vers le calvinisme, ont écrit contre cette secte les livres les plus violents. Mais la persécution que les cartésiens excitèrent contre M. de Spinoza et qui dura autant qu’il vécut, bien loin de l’ébranler, le fortifia dans la recherche de la vérité.

Il imputait la plupart des vices des hommes aux erreurs de l’entendement, et, de peur d’y tomber, il s’enfonça plus avant dans la solitude, quittant le lieu où il était pour aller à Vooburg [3], où il crut qu’il serait plus en repos.

Les vrais savants, qui le trouvaient à dire aussitôt qu’ils ne le voyaient plus, ne mirent guère à le déterrer, et l’accablèrent de leurs visites dans ce dernier village, comme ils avaient fait dans le premier. Lui, qui n’était pas insensible au sincère amour des gens de bien, céda à l’instance qu’ils lui firent de quitter la campagne pour quelque ville où ils pussent le voir avec moins de difficulté. Il s’habitua donc à la Haye, qu’il préféra à Amsterdam, à cause que l’air y est plus sain, et il y demeura constamment le reste de sa vie.

D’abord il n’y fut visité que d’un petit nombre d’amis qui en usaient modérément ; mais cet aimable lieu n’étant jamais sans voyageurs qui cherchent à voir ce qui mérite d’être vu, les plus intelligents d’entre eux, de quelque qualité qu’ils fussent, auraient cru perdre leur voyage s’ils n’avaient pas vu M. de Spinoza.

Et comme les effets répondaient à la renommée, il n’y a point de savant qui ne lui écrivît pour être éclairci de ses doutes. Témoin ce grand nombre de lettres qui font partie du livre [4] qu’on a imprimé après sa mort. Mais tant de visites qu’il recevait, tant de réponses qu’il avait à faire aux savants qui lui écrivaient de toutes parts, et ses ouvrages

  1. Cet ouvrage est intitulé : Renati Descartes Principiorum philosophiæ, pars I, II, more geometrico demonstratæ, per Benedictum de Spinoza et apud Johan. Rieuwertz, 1663.
  2. Cet ami est M. Louis Meyer, médecin d’Amsterdam.
  3. Village à une lieue de la Haye.
  4. Il est intitulé B. d. S. Opera posthuma. 1677, 4.