Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

empêchée mais non détruite par le souvenir des autres choses qui excluent l’existence de celle-là ; or, en tant qu’elle est empêchée, l’homme se réjouit ; et de là vient que la joie qui nous est causée par le malheur d’un objet détesté se répète aussi souvent que nous nous souvenons de lui. Car, comme on l’a déjà dit, lorsque l’image de l’objet détesté vient à être excitée, comme elle en enveloppe l’existence, elle détermine l’homme à considérer cet objet avec la même tristesse qu’il avait coutume de ressentir quand elle existait réellement. Mais comme il arrive aussi que l’homme joint à l’image de l’objet détesté d’autres images qui excluent l’existence de celle-là, cette détermination à la tristesse est empêchée au même instant, et l’homme se réjouit ; et cela autant de fois que le phénomène reparaît. On peut expliquer de la même manière pourquoi les hommes se réjouissent chaque fois qu’ils se rappellent les maux passés, et pourquoi aussi ils aiment à raconter les périls dont ils sont délivrés. Car, dès qu’ils se représentent quelque péril, ils l’aperçoivent aussitôt comme un péril à venir, et sont ainsi déterminés à le redouter ; mais cette détermination venant à être empêchée par l’idée de la délivrance, qu’ils ont jointe à celle du péril quand ils en ont été délivrés, la sécurité arrive à sa suite, et ils sont de nouveau réjouis.


PROPOSITION XLVIII

L’amour et la haine que j’ai pour Pierre, par exemple, disparaîtront, si a la tristesse qui enveloppe cette haine et à la joie qui enveloppe cet amour se joint l’idée d’une cause autre que Pierre ; et cette haine ou cet amour doivent diminuer en tant que j’imagine que Pierre n’a pas été seul cause de ma tristesse ou de ma joie.

Démonstration : Cela résulte évidemment de la seule définition de l’amour et de la haine (voyez le Schol. de la Propos. 13, partie 3). Car la joie ou la tristesse ne deviennent amour ou haine à l’égard de Pierre, qu’à cette condition que Pierre soit considéré comme cause de cette tristesse ou de cette joie. Par conséquent, ôtez cette condition, ou