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DE LA RÉFORME

des objets de la veille, ce qui n’aurait pas lieu s’ils savaient distinguer le sommeil de la veille. J’avertis en passant que je n’expliquerai pas ici l’essence de chaque perception ni sa cause immédiate ; cela concerne la philosophie ; je me bornerai à ce qu’exige la méthode, c’est-à-dire aux caractères des perceptions fictives, fausses et douteuses, et aux moyens de nous en délivrer. Prenons pour premier objet de nos recherches l’idée fictive.

Toute perception a pour objet, soit une chose considérée en tant qu’elle existe, soit seulement l’essence d’une chose ; mais comme la fiction ne s’applique guère qu’aux choses considérées en tant qu’elles existent, c’est de ce genre de perception que je parlerai d’abord : je veux dire celle où l’on feint l’existence d’un objet, et où l’objet ainsi imaginé est compris ou supposé compris par l’entendement. Par exemple, je feins que Pierre, que je connais, s’en va chez lui, vient me voir[1], et autres choses pareilles. À quoi se rapporte une telle idée ? elle se rapporte aux choses possibles, et non aux choses nécessaires ou aux choses impossibles. Or, j’appelle impossible une chose dont la nature est telle qu’il implique contradiction qu’elle existe ; nécessaire, celle dont la nature est telle qu’il implique contradiction qu’elle n’existe pas ; possible, celle dont l’existence est telle que, par sa nature, il n’implique contradiction ni qu’elle existe ni qu’elle n’existe pas. Dans ce dernier cas, la nécessité ou l’impossibilité de l’existence de la chose dépend de causes qui nous sont inconnues tout le temps que nous feignons qu’elle existe ; mais si la nécessité ou l’impossibilité de son existence, laquelle dépend de causes étrangères, nous était connue, il ne serait en notre pouvoir de rien feindre en ce qui la concerne. D’où il suit que si l’on nous accordait, par hypothèse, qu’il existe quelque dieu ou quelque être omniscient, il ne serait pas

  1. Voyez plus loin la note sur les hypothèses dont nous avons une claire intelligence ; la fiction consiste à dire que ces hypothèses ont une existence réelle.