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DE L’ENTENDEMENT.

ces universaux s’étendent toujours dans l’esprit bien au delà des êtres particuliers qui peuvent réellement exister dans la nature. Après cela, comme dans la nature il y a beaucoup de choses dont la différence est si petite qu’elle échappe presque à l’intelligence, alors (si l’on conçoit ces choses abstractivement) il peut facilement arriver qu’on les confonde. Mais comme l’origine de la nature, ainsi que nous le verrons plus tard, ne peut être conçue d’une manière ni abstraite, ni universelle, et ne peut s’étendre dans l’esprit plus qu’elle ne s’étend dans la réalité, et qu’elle n’a aucune ressemblance avec les êtres soumis au changement, il n’y a point à redouter de confusion dans cette idée, pourvu que nous possédions la règle de vérité (que nous avons déjà posée), c’est à savoir, cet Être unique[1], infini, c’est-à-dire l’être qui est tout l’être[2], et hors duquel il n’y a rien.

Après avoir traité de l’idée fausse, il nous reste à faire les mêmes recherches sur l’idée douteuse, c’est-à-dire à déterminer quelles sont les choses qui nous peuvent amener à douter, et en même temps comment on peut détruire le doute. Je parle du vrai doute qui s’empare de l’esprit, et non pas de celui que nous voyons se produire en paroles, lorsqu’on affirme que l’on doute d’une chose dont l’esprit ne doute pas. Ce n’est point à la méthode de corriger ce vice ; il s’agit simplement de faire des recherches sur l’obstination et sur les moyens de la guérir. Jamais il n’y a dans l’âme aucun doute produit par la chose même dont on doute, c’est-à-dire que s’il n’y a dans l’âme qu’une seule idée, qu’elle soit vraie ou fausse, aucun doute, aucune certitude même ne sera produite, mais seulement une certaine sensation. Car l’idée n’est en soi rien autre qu’une certaine sensation ; le doute

  1. Ce ne sont pas là les attributs de Dieu qui manifestent son essence, comme je le montrerai dans ma Philosophie.
  2. Cela a été démontré plus haut. Si en effet un tel être n’existait pas, il ne pourrait jamais être produit, et ainsi l’esprit pourrait concevoir plus que la nature ne pourrait fournir ; ce qui a été plus haut reconnu faux.