Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/307

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présage. Mais, tandis que, pressant du genou la terre, j’attaque avec plus d’effort un troisième arbrisseau, le dirai-je ou dois-je me taire ? de ce tertre sort un gémissement lamentable, et une voix porte à mon oreille ces mots : « Énée, pourquoi déchirer un malheureux ? Épargne ce tombeau, épargne un crime à tes pieuses mains ! Je ne te suis point étranger : Troie m’a vu naître, et ce sang ne coule point d’une tige insensible. Ah ! fuis ces rivages cruels ! fuis ces terres avares ! car je suis Polydore. Ici, mon corps a été couvert d’une moisson de traits homicides : ces traits ont pris racine sur ma tombe, et sont montés en tiges verdoyantes. »

À ces mots, troublé, jusqu’au fond de l’âme, d’une vague terreur, je frissonne ; mes cheveux se dressent, et la parole expire sur mes lèvres.

Polydore était fils de l’infortuné Priam, qui, voyant sa ville assiégée d’ennemis, et se défiant déjà du succès de ses armes, l’avait secrètement envoyé, avec de grands trésors, au roi de Thrace, qui devait protéger son enfance. Mais, dès que la puissance de Troie fut détruite, et que la fortune nous eut abandonnés, le traître se rangea du parti d’Agamemnon et de ses armes victorieuses, et, violant les droits les plus saints, égorgea Polydore et s’empara de ses richesses. À quoi ne pousses-tu pas le cœur des