Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/415

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yeux fatigués. Moi-même, un moment, je tiendrai ta place au gouvernail. » Palinure ouvre avec effort ses paupières appesanties : « Crois-tu donc, dit-il, que je connaisse si peu le calme insidieux des mers et de leurs flots paisibles ? moi ! je me fierais à cet élément perfide ! et, tant de fois trompé par l’apparence d’un ciel serein, j’abandonnerais Énée à des vents infidèles ! » Il dit, et de ses mains s’attache avec force au gouvernail, et tient ses yeux fixés sur les astres. Alors le dieu secoue, sur ses deux tempes, un rameau trempé dans les eaux du Léthé, et que le Styx imprégna de vapeurs assoupissantes. Soudain, malgré l’effort de Palinure, ses yeux appesantis se ferment, et à peine ce sommeil inattendu s’est-il glissé dans ses membres, le dieu se jette sur lui, et le précipite dans les ondes avec le gouvernail et une partie de la poupe arrachée. Palinure appelle en vain ses compagnons à son secours ; le dieu, déployant ses ailes, remonte dans les airs.

Cependant la flotte suit son paisible chemin, et vogue confiante dans les promesses de Neptune. Déjà elle approchait des rochers des Sirènes, écueils jadis redoutables, et qu’ont blanchis les ossements de tant de victimes. Déjà, de loin, on entendait retentir ces rocs bruyants incessamment battus des flots amers,