Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/48

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Louange et renommée, c’est en effet la plus grande et la vraie récompense aux yeux du chantre ; c’est par là aussi qu’Ulysse sait le prendre et lui chatouiller le cœur. Cet amour de la gloire resta le trait distinctif des Grecs. Horace l’a reconnu d’eux en son temps ; ils n’avaient d’ambition et d’avarice que pour la gloire ; ils étaient cupides d’honneur, et de rien de plus, à la différence des Romains, peuple positif qui, à force de bonnes institutions, s’éleva sans doute jusqu’à ce culte orgueilleux de la haute renommée, mais que gagna ou reprit de bonne heure la rouille de l’usure, le soin du pécule. Et « c’est par cet amour de la gloire, aiguillon vers toute belle chose, que l’emportaient entre tous les Grecs les Athéniens, au dire de Xénophon, bien plus encore que par l’euphonie du langage ou par telle qualité ou vertu corporelle. »

On a cru voir dans ces éloges qu’Homère, par la bouche d’Ulysse, accorde à Démodocus, un portrait indirect de lui-même. « Il se mire dans ces vers, » a dit Eustathe ; — il s’y est du moins réfléchi involontairement.

J’ai à peine touché les endroits qui nous peignent cette première condition large, honorée et abondante des anciens chantres épiques chez les Grecs ; ils étaient une partie essentielle de la vie sociale et des fêtes : « Car je dis (c’est encore Ulysse chez Alcinoüs qui parle) qu’il n’y a point de moment plus gracieux dans la vie que lorsque l’allégresse possède tout un peuple, et que des convives, assis par rangées dans les maisons, prêtent l’oreille à un chantre, tandis que les tables servies sont chargées de pain et de viandes, et que, puisant le vin dans l’amphore, l’échanson le porte et le verse dans les coupes à la ronde : voilà ce qui paraît la plus belle des choses à mon cœur. » — Boire le vin d’honneur et entendre le chantre, ce sont les magnifiques largesses d’une table hospitalière, et Alcinoüs se vante à bon droit qu’on les trouve dans sa maison. Je crois que c’est le poëte Gray qui eût fait son paradis, disait-il, de lire un bon roman, étendu sur un sofa. Il me semble qu’on le voit d’ici ce lecteur délicat et sensible, un jour d’été, le