Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/49

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store baissé, dans une chambre silencieuse et recueillie : c’est un autre extrême qui appartient à la vie littéraire raffinée. Le plaisir primitif des Grecs exprimé par la bouche d’Ulysse est bien autrement social, et il fait à la poésie une bien plus belle et plus large part dans l’habitude et le plein courant de la vie. C’était véritablement alors le règne de la lyre, « dont les Dieux ont fait la compagne du festin. »

On a donc là, représentée naïvement, l’image des premiers chanteurs épiques, ces hommes d’une vaste mémoire qui se souvenaient de telle branche ou de tel épisode à volonté, selon qu’un désir du maître de la maison ou l’inspiration du moment le leur rappelait, et qui, chez un peuple ami de l’harmonie et de la gloire, tenaient un rang des plus respectés, presque à l’égal des prêtres. Les malheurs, les calamités les plus lamentables passant par leur bouche devenaient un charme, et il semblait que les hommes n’avaient jamais pu les payer trop cher, puisqu’ils avaient par là l’honneur d’occuper et d’enchanter la postérité. « Ce sont les Dieux qui l’ont voulu, disait Alcinoüs à Ulysse pleurant d’entendre réciter ses propres malheurs, et ils ont tramé ces calamités aux hommes pour qu’elles servissent ensuite de chant, même aux races futures. » Toujours cette idée grecque de la gloire, qui compense et couronne tout !

Maintenant il est bien clair que le premier et principal office de cette race de chantres était d’intéresser avant tout et de charmer ; les leçons, les moralités qu’ils pouvaient mêler à leurs récits ne venaient qu’en second lieu. Les poëtes, a dit Horace, veulent instruire ou plaire, ou combiner les deux à la fois : dire des choses qui plaisent, et qui se trouvent en même temps applicables à la vie. L’immortel honneur d’Homère, ç’a été d’unir, dans les vastes et sublimes assemblages qui composent ses poëmes, le plus grand charme, la plus vivifiante puissance, et une moralité intérieure et insensible, la plus vraie des moralités, celle qui sort et déborde sans qu’on y songe et comme en s’épanchant. Homère est comme ces grands fleuves vieillards dont