Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/145

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mère, elle ne cessa point de voir le jeune Morton. Des circonstances imprévues amenaient souvent le jeune homme dans les promenades solitaires fréquentées par Édith, quelle que fût la distance qui séparait leurs demeures. Cependant jamais elle n’exprima la surprise que ces rencontres auraient naturellement dû exciter : aussi leur liaison prit-elle graduellement une teinte plus mystérieuse, et leurs entrevues commencèrent-elles à ressembler à des rendez-vous. Ils échangèrent entre eux des lettres, des dessins, des livres, et la moindre commission donnée ou remplie fournissait l’occasion d’une nouvelle correspondance. Il est vrai qu’on n’avait pas encore prononcé le mot amour, mais chacun connaissait la situation de son propre cœur, et ne pouvait manquer de deviner celle de l’autre. Ne pouvant renoncer à une liaison qui avait tant de charmes pour tous deux, effrayés cependant des suites qu’elle pouvait avoir, ils l’avaient continuée, sans explication bien précise, jusqu’à ce moment où le sort paraissait s’être chargé de la conclusion.

Dans cette situation Morton, naturellement méfiant, sentait s’affaiblir en lui l’espoir qu’Édith le payait de retour. Sa fortune, son mérite, ses grâces, ses manières séduisantes, ne pouvaient manquer de la faire rechercher de quelque prétendant plus favorisé que lui de la fortune et mieux accueilli de la famille d’Édith. Les bruits publics avaient déjà désigné ce rival dans la personne de lord Evandale, et tout semblait le présenter en effet comme un digne prétendant à la main d’Édith : sa naissance, sa fortune, ses liaisons, ses principes politiques, ses visites fréquentes à Tillietudlem, l’honneur enfin qui lui était accordé d’accompagner lady Bellenden et sa nièce dans tous les lieux publics. Souvent la présence de lord Evandale dans des parties de plaisir où il se trouvait gênait l’entrevue des deux amants, et Henri ne pouvait s’empêcher de remarquer qu’Édith évitait soigneusement de parler du jeune lord, ou n’en parlait qu’avec une grande réserve.

Cette sage retenue, qui prenait sa source dans la délicatesse des sentiments d’Édith pour Morton, était mal interprétée par son caractère défiant, et la jalousie qui en résultait était entretenue par les remarques de Jermy Dennison. Cette soubrette, véritable coquette de campagne, se plaisait à tourmenter les amants de sa jeune maîtresse quand elle ne pouvait tourmenter les siens. Elle ne cherchait pas par-là à désobliger Henri Morton, qu’elle estimait beaucoup, tant par attachement pour sa maîtresse qu’à cause