Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/144

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La vile parcimonie de son oncle avait opposé bien des obstacles à son éducation ; mais il avait si bien profité des occasions qui s’étaient offertes, que ses instituteurs ainsi que ses amis étaient surpris de ses progrès, qui sans cesse triomphaient d’obstacles toujours renaissants. Néanmoins, son cœur était toujours glacé par un sentiment de dépendance et de pauvreté, et gémissait surtout de l’instruction bornée et imparfaite qu’il avait reçue. Ces sentiments lui imprimaient une méfiance et une réserve qui dérobaient effectivement à tous, hors à ses amis très-intimes, l’esprit étendu et la fermeté de caractère dont nous avons dit qu’il était doué. Les circonstances avaient ajouté à cette réserve un air d’indécision et d’indifférence ; car n’appartenant à aucune des factions qui divisaient le royaume, il passait pour sombre, insensible, dépourvu de religion et de patriotisme. Nulle conclusion n’était cependant plus injuste, et les raisons de la neutralité qu’il avait gardée jusqu’alors prenaient leur source dans des motifs louables et bien différents de ceux qu’on lui supposait. Il avait eu peu de liaisons sociales avec ceux qui étaient l’objet des persécutions ; il était dégoûté de l’égoïsme et de l’absurdité de leur esprit de parti, de leur sombre fanatisme, de leur haine ridicule pour toute instruction mondaine ou tous les exercices innocents, enfin de leur implacable ressentiment politique. Mais son âme se révoltait encore plus contre la tyrannie et l’oppression du gouvernement, contre le dérèglement, la licence et la brutalité des soldats, contre les exécutions par la main du bourreau, le massacre sur le champ de bataille, les taxes qu’imposait à volonté la loi militaire ; il s’indignait qu’on osât se jouer ainsi de la vie et de la fortune d’un peuple libre, et le rabaisser au rang des esclaves asiatiques. Condamnant donc les excès dont chaque parti se rendait coupable, dégoûté des maux auxquels il ne pouvait remédier, et entendant alternativement des plaintes et des réjouissances auxquelles il ne pouvait participer, il aurait quitté l’Écosse depuis long-temps s’il n’eût été retenu par son amour pour Édith Bellenden.

Les premières entrevues de ces jeunes gens avaient eu lieu à Charnwood, où le major Bellenden, qui était aussi exempt de soupçons dans ces cas que l’oncle Tobie[1] lui-même, avait en quelque sorte encouragé leur liaison. L’amour, selon l’usage, emprunta le nom de l’amitié ; il employa son langage, s’arrogea ses privilèges. Quand Édith Bellenden fut rappelée au château de sa

  1. Personnage du roman de Tristram Shandy, de Sterne. a. m.