Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/15

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en 1776, et après diverses vicissitudes de fortune, se fixa à Baltimore. »

Le vieux Nol aimait assez une innocente plaisanterie, comme le disent les Mémoires du capitaine Hodgson. Le Vieillard des tombeaux ressemblait un peu pour ce tour d’esprit au Protecteur. Comme maître Silence, il avait été gai deux ou trois fois dans son temps ; mais tout, en lui, jusqu’à ses plaisanteries, était d’une nature triste et sépulcrale, et souvent même lui occasionnait des désagréments, comme on le verra par l’anecdote suivante :

Le Vieillard était un jour occupé, comme à son ordinaire, à réparer les tombes des martyrs dans le cimetière de Girthon, et le fossoyeur de la paroisse exerçait en même temps ses fonctions à une courte distance. Quelques petits espiègles jouaient autour des deux vieillards, et par leurs mouvements impétueux et leurs voix bruyantes les dérangeaient beaucoup dans leurs occupations sérieuses. Les plus turbulents étaient deux ou trois garçons, petits-fils d’un homme bien connu sous le nom du tonnelier Clément. Cet artiste jouissait du privilège presque exclusif de faire et de vendre aux habitants de Girthon et des villages environnants les divers ustensiles de bois dont ils faisaient usage, comme cuillers, écuelles, gobelets, tasses, brocs, tranchoirs, et autres de toute espèce. Il est à remarquer que, malgré l’excellence des ouvrages du tonnelier, ils communiquaient presque toujours, surtout quand ils étaient neufs, une teinte rougeâtre au liquide que l’on y mettait, circonstance, au reste, qui jusque là n’avait point paru extraordinaire.

Les petits-fils de ce fabricant de vaisselle de bois s’avisèrent de demander au fossoyeur ce qu’il faisait de ces nombreux fragments de vieux cercueils qu’il retirait des tombes qu’il creusait. « Ne savez-vous donc pas, dit le Vieillard des tombeaux, qu’il les vend à votre grand-père, qui en fait des assiettes, des cuillers, des tasses, des écuelles, et autres vases semblables ? » En entendant une pareille assertion, les enfants se dispersèrent, pleins d’horreur et de consternation, en songeant qu’ils s’étaient servis, dans un grand nombre de repas, d’objets qui, d’après ce qu’avait dit le Vieillard, convenaient beaucoup mieux à des banquets de sorciers et de revenants[1]. Ils portèrent cette nouvelle dans leurs familles, et l’on peut croire que plus d’un dîner fut attristé par les idées épouvantables qu’elle fit naître ; car ce que l’on disait des maté-

  1. Ghoules, dit le texte. a. m.