Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la plate-forme, et, à l’aide des fragments et des angles de rochers, elle descendit vers le précipice qui s’ouvrait au-dessous d’eux. Aussi adroit qu’intrépide, Morton n’hésita pas à la suivre, mais l’attention dont il avait besoin pour assurer ses mains et ses pieds l’empêchait de regarder autour de lui. Après avoir descendu environ vingt pieds, la jeune fille s’arrêta, et il se trouva bientôt à côté d’elle, dans une situation à la fois romantique et alarmante. Ils étaient de niveau avec le rocher d’où l’eau s’élançait dans le profond et noir abîme, et à soixante ou soixante-dix pieds au-dessus de ce gouffre : ils voyaient en plein les deux étages de la cascade et le précipice qui la recevait. La cataracte tombait si près d’eux, qu’ils étaient mouillés par les vapeurs, et presque assourdis par le bruit continuel qu’elle produisait. Mais bientôt s’en étant approchés davantage, ils aperçurent un vieux chêne, renversé comme par hasard en travers du ruisseau, et qui formait un pont effrayant et dangereux. Le sommet de l’arbre s’appuyait sur la plate-forme où se trouvaient les deux voyageurs ; les racines touchaient à la rive gauche, dans un endroit caché par un rocher saillant que l’œil de Morton pouvait distinguer à peine. Derrière ce rocher brillait une lumière rouge qui, se réfléchissant dans l’eau de la cataracte, produisait un effet surnaturel et sinistre, et contrastait d’une manière frappante avec les rayons du soleil levant qui dorait le ruisseau vers son point de départ, quoique, même dans sa plus grande hauteur, il ne pût atteindre au tiers de la profondeur de l’abîme. Morton contemplait ce spectacle quand sa compagne le tira de nouveau par la manche, et, lui montrant le chêne et le rocher contre lequel il s’appuyait (car le bruit ne permettait plus de faire entendre aucune parole), elle lui indiqua qu’il fallait y passer.

Morton regarda la jeune fille d’un air de surprise ; car bien qu’il sût que les presbytériens persécutés cherchaient, sous les règnes précédents, un asile au milieu des bois et des montagnes, des cavernes et des cataractes, dans les lieux les plus sauvages et les plus retirés ; bien qu’il eût entendu dire que des covenantaires avaient long-temps demeuré au-delà de Dobs-Linn, sur les hauteurs désertes de Polmoodie, que d’autres s’étaient cachés dans l’effrayante caverne appelée Creehope-Linn, dans la paroisse de Closeburn[1], cependant son imagination ne s’était jamais repré-

  1. Les cruautés exercées par les persécuteurs obligèrent souvent les victimes à se cacher, en effet, dans les grottes ou les cavernes les plus profondes, où elles n’avaient pas seulement à combattre les dangers réels de l’humidité, des ténèbres et de la famine, nais où leur imagination troublée devait lutter encore contre les puissances infernales par lesquelles on supposait que ces lieux se trouvaient habités. La caverne appelée Creehope-Linn passe pour avoir été le refuge de ces infortunés enthousiastes, qui aimèrent mieux, et avec raison, y défier les démons que de s’exposer à la fureur de leurs mortels ennemis.