Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

senté une demeure aussi horrible, et il s’étonna que l’étrange et romantique spectacle qu’il avait sous les yeux lui eût échappé jusque là, lui qui recherchait avec ardeur ces grandes merveilles de la nature. Mais il réfléchit que ce lieu étant très-écarté et très-sauvage, et destiné à servir d’asile contre la persécution aux prédicateurs non conformistes, le secret de son existence était soigneusement gardé par le petit nombre de bergers qui pouvaient le connaître.

Faisant trêve à ses réflexions, il se demandait comment il pourrait franchir ce pont périlleux et effrayant, toujours mouillé et rendu glissant par les vapeurs, et suspendu à plus de soixante pieds au-dessus de la cataracte ; mais son guide, comme pour lui donner du courage, passa sur l’arbre, puis revint vers lui sans la moindre hésitation. Morton envia un instant les petits pieds nus de la jeune fille qui saisissaient bien mieux les aspérités de l’écorce de l’arbre qu’il ne pouvait le faire avec ses bottes. Cependant, fixant ses yeux sur la rive opposée, sans regarder l’eau écumeuse, sans prêter l’oreille au fracas de la cataracte, il s’avança d’un pas ferme et assuré, et atteignit l’entrée d’une petite caverne située à l’autre bord du torrent. Là il s’arrêta, car la lueur rougeâtre d’un feu de charbon lui permit d’en voir l’intérieur ; et, caché lui-même dans l’ombre d’un rocher, il put considérer l’être qui l’habitait, sans en être aperçu lui-même. Ce qu’il observa n’aurait pas encouragé un homme moins déterminé que Morton à poursuivre son entreprise.

Burley, qui n’était changé que par une barbe grise qu’il avait laissé croître, était debout au milieu de la caverne, tenant d’une main sa bible, et de l’autre son épée nue. Ses traits, à demi éclairés par la lueur rougeâtre du charbon, semblaient ceux d’un démon dans la sombre atmosphère du Pandemonium ; ses mouvements et ce qu’on pouvait saisir de ses paroles paraissaient également violents et irréguliers. Seul et dans un lieu presque inaccessible, il avait l’air d’un homme qui défend sa vie contre un ennemi mortel. « Ah ! ah !… ici… ici !… » s’écriait-il en accompagnant chaque mot d’un coup frappé de toute sa force dans le vide de