Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/49

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genoux aient touché le sol ; prenez cette mesure que les profanes appellent roquille, destinée au soulagement de l’humanité, et dont la liqueur porte la dénomination charnelle d’eau-de-vie ; allons, maintenant buvez à la santé et à la gloire de Sa Grâce l’archevêque de Saint-André, le digne primat d’Écosse. »

Tous attendaient la réponse de l’étranger, dont l’aspect semblait annoncer un homme peu disposé à entendre une grossière plaisanterie et à recevoir impunément une insulte. Ses traits sévères étaient empreints d’une certaine férocité ; son regard n’était pas précisément oblique, mais il le jetait de travers et à la dérobée, ce qui donnait à sa figure un air vraiment sinistre ; il avait une stature carrée, robuste et musculeuse, quoiqu’il fût au-dessous de la moyenne taille.

« Et qu’en résulterait-il, si je n’étais pas disposé à obéir à votre incivile demande ? » dit-il à Bothwell. — Il en résulterait, mon bien-aimé, » répliqua celui-ci avec le même ton de raillerie, « il en résulterait, premièrement, que je pincerais ta trompe, c’est-à-dire ton mufle ou ton nez ; secondement, que je crèverais tes yeux de hibou, et qu’enfin je terminerais la leçon en caressant tes épaules du plat de mon sabre. — Puisqu’il en est ainsi, dit l’étranger, donnez-moi le verre, » et le saisissant de ses mains, il s’écria avec un geste et une expression particulière : « Je bois à la santé de l’archevêque de Saint-André, il est bien digne de la place qu’il occupe en ce moment, puisse tout prélat avoir bientôt le sort du révérend Jacques Sharpe[1] ! — Il a obéi ! s’écria Holliday triomphant. — Oui, dit Bothwell ; mais j’ai remarqué dans le ton de ce drôle quelque chose d’inintelligible pour nous, qui ne me plaît pas. — Allons, messieurs, dit Morton qui commençait à s’im-

  1. Archevêque d’Écosse. Le chef de ses meurtriers fut David Hackston de Rathillet, gentilhomme d’une ancienne famille, et possédant de grandes propriétés. Il avait eu une jeunesse déréglée ; mais ayant, par pure curiosité, assisté aux assemblées on conventicules du clergé non conformiste, il adopta leurs principes dans toute leur étendue. Il paraît que Hackston avait eu une querelle personnelle avec l’archevêque Sharpe, ce qui le porta à refuser le commandement du parti quand le meurtre eut été décidé, craignant que son acceptation ne fût attribuée à des motifs d’inimitié personnelle. Cependant il crut pouvoir sans scrupule assister à cette scène sanglante ; et quand l’archevêque, arraché de sa voiture, se traîna vers lui à genoux pour implorer sa protection, il lui répondit froidement : « Monsieur, je ne porterai jamais la main sur vous. » Une chose digne de remarque, c’est que Hackston et un berger qui avait été témoin passif de l’assassinat furent les deux qui, seuls de tous les meurtriers, portèrent leur tête sur l’échafaud.
    Hackston ayant, comme on vient de le dire, refusé le commandement, il fut conféré par les suffrages unanimes à Jean Balfour, de Kinloch, appelé Burley, et beau-frère de Hackston. a. m.