Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/64

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peine contemplé son hôte une minute, que ce dernier leva la tête.

« Je vois, » dit Morton jetant les yeux sur l’épée nue, « que vous avez entendu le bruit des cavaliers : leur passage m’a retardé de quelques minutes. — À peine y ai-je pris garde, dit Balfour ; mon heure n’est pas encore venue ; je le sais, je tomberai dans leurs mains, et je serai glorieusement associé aux saints qu’ils ont égorgés. Ah ! jeune homme, que je voudrais que cette heure sonnât bientôt ! Oh ! comme elle serait la bienvenue ! aussi bienvenue que le jour des noces à un fiancé. Mais si mon Maître a encore de l’ouvrage pour moi sur la terre, je ne dois pas travailler en murmurant. — Mangez et fortifiez-vous, dit Morton. Votre sûreté exige que dès demain vous abandonniez ce lieu, afin de gagner les montagnes aussitôt que vous pourrez distinguer, à la pointe du jour, le sentier à travers les marais. — Jeune homme, répartit Balfour, vous êtes déjà fatigué de ma présence ; vous le seriez bien plus si vous connaissiez l’action que je viens d’accomplir ; mais je n’en suis point étonné, car il y a des moments où je suis las aussi de moi-même. Pensez-vous que ce ne soit pas une rude épreuve pour nous autres hommes d’être appelés à exécuter les jugements rigoureux du ciel, pendant que nous sommes encore tout chair, et qu’au dedans de nous vit encore cette sympathie, ce sentiment de compassion pour le malheureux qui souffre, sympathie qui fait que notre cœur frissonne et bat quand nous enfonçons l’acier dans le sein de notre semblable ? Pensez-vous que, lorsqu’un tyran orgueilleux a été précipité de son rang, les instruments de son châtiment puissent toujours reporter leurs regards sur la part qu’ils ont prise à sa destruction, sans que leurs nerfs soient émus, ébranlés ? Pensez-vous que souvent leur conscience ne mette point en question si c’est véritablement une inspiration d’en-haut qui les a chargés de frapper le coupable ? Pensez-vous que parfois ces vengeurs du ciel ne doutent pas de la source de cette forte impulsion qu’ils ont reçue de lui dans leurs prières, et qu’ils ne tremblent pas, au milieu de tant de scrupules, d’avoir pris le change, c’est-à-dire d’avoir confondu les réponses de la vérité avec les puissantes illusions de l’Ennemi ? — Ce sont des sujets, M. Balfour, sur lesquels je ne suis pas en état de discuter avec vous, répondit Morton ; mais je doute fort de la source sacrée de toute inspiration qui pousse un homme à commettre une action contraire aux sentiments naturels d’humanité que le ciel a mis dans nos âmes comme la règle générale de notre conduite. »