Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/86

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connaissait en lui le caractère de son défunt mari, et savait que, quoique implicitement soumis dans beaucoup de choses à la supériorité de son extrême finesse, il avait coutume dans certaines occasions, lorsqu’on le poussait à bout, de montrer une obstination que ni les remontrances, ni la flatterie, ni les menaces, n’étaient capables de vaincre. C’est pourquoi, craignant que Cuddie ne vînt à accomplir sa menace, elle mit un frein à ses discours, et lors même qu’on louait Poundtext en sa présence, comme un prédicateur plein de talents, elle avait le bon sens d’arrêter la contradiction que sa bouche était prête à faire entendre, et n’exprimait ses sentiments que par un profond soupir, que ceux qui l’entouraient attribuaient charitablement au vif souvenir des morceaux les plus pathétiques de ses homélies. Il serait difficile de dire combien de temps elle aurait pu réprimer ses sentiments. Un incident imprévu vint la délivrer de sa contrainte.

Le laird de Milnwood suivait tous les anciens usages qui avaient rapport à l’économie. C’était donc encore la coutume dans sa maison, comme cinquante ans auparavant en Écosse, que les domestiques après avoir servi le dîner, prissent place au bout de la table et partageassent le repas qui leur était donné dans la compagnie de leurs maîtres. C’est pourquoi le jour qui suivit l’arrivée de Cuddie (le troisième depuis le commencement de ce récit), le vieux Robin, qui était sommelier, valet de chambre, laquais, jardinier, et que n’était-il pas dans la maison de Milnwood ? posa sur la table une immense soupière de bouillon épaissi avec du gruau d’avoine et des choux verts ; dans cet océan de liquide on apercevait, lorsque l’on était bon observateur, deux ou trois côtelettes d’un mouton maigre qui nageaient çà et là. Deux grands paniers, l’un de pain fait d’orge et de pois, et l’autre de gâteaux d’avoine, étaient de chaque côté de ce plat quotidien. Un gros saumon bouilli indiquerait aujourd’hui de l’abondance dans la maison, mais à cette époque on prenait le saumon en si grande quantité dans les rivières d’Écosse, qu’au lieu d’être regardé comme un mets délicat il servait ordinairement de nourriture aux domestiques, qui, dit-on, stipulaient quelquefois qu’ils ne seraient forcés de manger de cet aliment bas et fade que cinq fois par semaine. Un large pot brun rempli d’une bière très-faible et faite à Milnwood était mis à la discrétion de la compagnie, ainsi que les gâteaux d’avoine, les petits pains et le bouillon ; mais le mouton était réservé pour les principales personnes de la famille, et pour Mistress Wilson ;