Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/113

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partement qu’un violent frisson parcourut tous ses membres, et que, ses joues perdant leur coloris, elle se laissa tomber sur une des paillasses où, appuyant ses coudes sur ses genoux, et pressant ses mains contre son front, elle ressemblait plutôt à une personne abattue par une peine morale, ou oppressée par une douloureuse maladie, que fatiguée d’un voyage et disposée à se livrer le plus tôt possible à un repos nécessaire. Arnold n’était pas très pénétrant pour lire dans le cœur des femmes. Il vit que sa nièce souffrait ; mais, n’imputant qu’aux motifs déjà mentionnés une peine qu’augmentaient encore les effets ordinaires produits par la fatigue, il la blâma doucement de s’être départie de son caractère de jeune fille helvétienne, avant même qu’elle ne sentît plus la brise des vents de la Suisse.

« Il ne faut pas que tu fasses croire aux dames d’Allemagne ou de Flandre que nos filles ont dégénéré de leurs mères ; autrement il nous faudrait remporter de nouveau les victoires de Sempach et de Laupen, pour convaincre l’empereur et ce superbe duc de Bourgogne que nos hommes sont du même métal que leurs aïeux. Et quant à notre séparation, je ne la redoute pas. Mon frère est comte de l’empire, il est vrai, et par conséquent il doit avoir besoin de s’assurer si toutes les choses sur lesquelles il a des titres de possession sont à ses ordres, et il te redemande pour montrer qu’il a droit de le faire. Mais je le connais bien : il ne sera pas plus tôt convaincu qu’il n’a qu’à t’ordonner de revenir pour que tu reviennes, qu’il ne s’occupera point davantage de toi. Toi, hélas ! pauvre créature, en quoi servirais-tu ses intrigues de cour et ses plans d’ambition ? Non, non… tu ne répondras jamais aux vues du noble comte, et il faudra bien te contenter de revenir diriger la laiterie de Geierstein, et y faire le bonheur de ton vieil oncle le paysan. — Plût à Dieu que nous y fussions déjà de retour ! » dit la jeune fille d’un ton d’accablement qu’elle s’efforça en vain de cacher ou de modérer.

« La chose serait difficile avant que nous eussions rempli la mission qui nous amène ici, répliqua le positif landaraman ; mais étends-toi sur ton lit, Anne… mange une bouchée, et prends trois gouttes de vin : tu te réveilleras demain aussi gaie qu’une fille de la Suisse un dimanche, quand la cornemuse sonne le réveil. »

Anne eut encore assez de force pour alléguer un violent mal de tête, et refusant de rien prendre, se disant incapable de rien goûter, elle souhaita le bonsoir à son oncle. Elle engagea alors Lisette