Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/170

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qui s’éloignaient rarement de leur maison, et n’étaient que des voyageurs sans la moindre expérience.

Un domestique du landamman seconda Arthur dans cette tâche, et l’aida à placer le bagage de son père sur la mule appartenant au député barbu de Schwitz. Il reçut aussi de ce personnage des instructions concernant la route de Graff’s-Lust à La Ferette, qui était trop simple et trop droite pour rendre vraisemblable qu’ils courussent aucun risque de perdre leur chemin, comme cela leur était arrivé lorsqu’ils voyageaient dans les montagnes de la Suisse. Tout se trouvant alors prêt pour leur départ, le jeune Anglais réveilla son père et lui annonça qu’ils n’avaient plus qu’à partir. Il se retira ensuite vers la cheminée, pendant que son père, suivant son habitude quotidienne, répétait la prière de saint Julien, patron des voyageurs, et s’habillait pour se mettre en route.

On ne s’étonnera point si, pendant que le père s’acquittait de ses dévotions et s’équipait pour le voyage, Arthur, le cœur plein de ce qu’il avait si récemment vu d’Anne de Geierstein, et la tête troublée par le souvenir des événements de la nuit précédente, tint ses yeux constamment fixés sur la porte de la chambre à coucher où il avait vu naguère cette jeune personne disparaître. Cette pâle, et, pour ainsi dire, fantastique figure, qui avait deux fois passé si étrangement devant lui, était-elle un esprit vagabond des éléments, ou bien la substance vivante de la personne dont elle avait pris l’extérieur ? Sa curiosité était si vive sur ce point, qu’il ouvrait ses yeux le plus large possible, comme s’ils eussent pu pénétrer, à travers le bois et la muraille, dans l’appartement de la jeune fille endormie, pour découvrir si ses yeux ou ses joues portaient le moindre indice montrant qu’elle avait veillé ou couru les champs la nuit dernière.

« Mais, » se disait-il intérieurement, « c’est la preuve à laquelle Rudolphe en a appelé, et Rudolphe seul sera à même d’en observer le résultat. Qui sait quel avantage les communications que je lui ai faites peuvent lui donner pour favoriser ses prétentions auprès de cette aimable créature ? et que pensera-t-elle de moi ?… Que j’ai la tête légère et la langue trop longue ; qu’il ne peut rien m’arriver d’extraordinaire sans que j’aille aussitôt le crier aux oreilles de ceux qui se trouvent les plus proches de moi dans le moment ! Je voudrais que ma langue se fût paralysée avant d’avoir dit un mot à ce fier et rusé ferrailleur. Je ne la reverrai plus !… Il faut s’y résoudre comme à une chose certaine. Je ne connaîtrai jamais la vé-