Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdre l’un et l’autre. Ces hommes habitent au milieu de rochers et de déserts qui sont presque inaccessibles, et leur existence est si rude que le plus pauvre de vos sujets mourrait de faim s’il était soumis à une diète pareille. Pour l’amour du ciel ! n’allez pas les chercher ; mais suivez plutôt les plans plus nobles et plus importants que vous avez adoptés, sans troubler un nid de guêpes qui, une fois en mouvement, peuvent vous piquer à vous rendre fou. »

Le duc avait promis d’être patient, et s’efforçait de tenir sa parole ; mais les muscles gonflés de son visage et ses yeux étincelants montraient combien il avait de peine à maîtriser sa colère. — Vous êtes mal informé, milord, dit-il ; ces hommes ne sont pas les bergers et les paysans inoffensifs qu’il vous plaît de supposer. S’ils étaient tels, je pourrais prendre sur moi de les dédaigner ; mais enflés d’orgueil par quelques victoires remportées sur les lâches Autrichiens, ils ont secoué tout respect pour l’autorité ; ils prennent des airs d’indépendance, forment des ligues, font des invasions, prennent des villes d’assaut, jugent et exécutent, suivant leur bon plaisir, des hommes de sang noble… Tu es stupide, comte, car tu as l’air de ne pas me comprendre. Pour échauffer ton sang anglais, et te faire sympathiser avec mes sentiments à l’égard de ces montagnards, sache que ces Suisses sont de véritables Écossais pour ceux de mes domaines qui avoisinent leurs confins : pauvres, fiers, féroces, faciles à s’offenser, parce qu’ils gagnent toujours à la guerre ; difficiles à s’apaiser, parce qu’ils gardent long-temps rancune ; toujours prêts à saisir le moment favorable, et à attaquer un voisin lorsqu’il est engagé dans d’autres affaires. De même que les Écossais sont pour l’Angleterre des ennemis inquiets, perfides, acharnés, de même les Suisses le sont pour la Bourgogne et mes alliés. Qu’en dis-tu à présent ? puis-je rien entreprendre d’important avant d’avoir rabaissé l’orgueil d’un pareil peuple ? Ce sera l’affaire de peu de jours. J’empoignerai le porc-épic des montagnes, malgré toutes ses pointes, avec mon gantelet d’acier. — Alors Votre Altesse en finira plus vite avec eux, répondit le noble exilé, que nos rois d’Angleterre n’en ont fini avec l’Écosse. Les guerres ont toujours duré si long-temps, et ont toujours été si sanglantes, que les gens sages regrettent qu’elles aient jamais commencé. — Non, répliqua le duc, je ne déshonorerai pas les Écossais en les comparant sous tous les rapports à ces grossiers montagnards des cantons. Les Écossais ont du sang et de la noblesse chez eux, et nous en avons vu maints exemples. Ces Suisses