Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/26

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pendant quelque trente ans les chemins, les issues, les sentiers, les détours ; et quand on ne peut diriger sa course en habile marin après un pareil apprentissage, il est difficile qu’on s’instruise jamais, dût-on avoir tout un siècle pour cela. — Puisque tu es un marin si expérimenté, » dit à son tour l’archer Anthony, « tu as dû contracter dans tes voyages l’habitude de boire ce qu’on appelle le coup du matin : il est offert ordinairement par les voyageurs à ceux qui les guident là où manquerait l’expérience des premiers. Je vous comprends, sire archer, répondit le ménestrel. À la vérité l’argent ou le drink-gelo, comme disent les Flamands, est un objet assez rare dans la bourse d’un homme de ma profession ; néanmoins, suivant mes faibles moyens, tu n’auras point à te plaindre que tes yeux ou ceux de tes camarades aient été endommagés par un brouillard d’Écosse, tant que nous pourrons trouver une pièce d’argent anglaise pour payer la bonne liqueur qui les sait éclaircir. — À merveille ! dit l’archer ; maintenant nous nous entendrons parfaitement, et si durant la route il s’élève quelques difficultés, l’assistance d’Anthony ne te manquera pas pour les surmonter. Mais tu ferais bien d’avertir ton fils, dès ce soir, de la visite que nous ferons demain à l’abbé, car tu dois bien penser que nous ne pouvons ni n’osons retarder d’une minute notre départ pour le couvent, après que le ciel a commencé à rougir ; entre autres défauts, les jeunes gens sont souvent portés à la paresse et à l’amour de leurs aises. — Tu reconnaîtras que tu ne dois pas penser ainsi, répliqua le ménestrel ; car l’alouette elle-même, quand elle est éveillée par les premiers rayons du jour, ne s’élance pas plus légèrement vers le ciel, que mon Augustin ne répondra demain au brillant appel de l’aurore. Et maintenant que nous sommes parvenus à nous entendre, il ne me reste plus qu’à vous prier de mesurer un peu vos paroles tant que mon fils sera dans votre compagnie… c’est un jeune homme chaste et timide dans la conversation. — oh ! oh ! joyeux ménestrel, s’écria Bend-the-Bow, tu nous joues là le Satan converti. Si tu as exercé ta profession pendant vingt années, comme tu le prétends, ton fils, en ne te quittant pas depuis son enfance, doit être devenu capable d’enseigner aux diables eux-mêmes la pratique des sept péchés mortels : personne n’en connaît la théorie, si les poursuivants de la gaie science l’ignorent. — En vérité, camarade, vous avez quelque raison ; et je reconnais que, nous autres ménestrels, nous sommes trop inconsidérés sur ce chapitre. Néanmoins, ce n’est pas une faute dont je