Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/33

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auxquels le héros et le poète sont en butte, d’une autre part, le courage, la force, les armes et l’adresse du vaillant chevalier rendent son rôle beaucoup plus sûr encore que celui du pauvre rimeur. — Vous avez raison, répliqua le guerrier ; c’est à la vérité une espèce de nouveauté pour moi que d’entendre mettre pour ainsi dire sur un même pied votre profession et mon genre de vie. Néanmoins le ménestrel qui s’impose de si rudes travaux pour transmettre à la postérité les exploits des braves chevaliers, préfère aussi la renommée à l’existence, et un seul acte de valeur à tout un siècle de vie sans gloire : certes, on ne peut prétendre qu’une pareille profession soit basse et peu honorable. — Votre Seigneurie reconnaîtra donc, dit le ménestrel, que j’ai un but légitime, moi qui, simple roturier, ai cependant pris régulièrement mes grades parmi les professeurs de la gaie science, dans la ville capitale d’Aigues-Mortes, pour venir à grand’peine jusque dans ce district du nord, où doivent s’être passés bien des événements : sans doute les fameux ménestrels des anciens jours ont chanté ces hauts faits sur la harpe, et leurs récits ont été déposés dans la bibliothèque du château de Douglas où ils courent risque d’être perdus pour la postérité, à moins d’être transcrits par des hommes qui comprennent le vieux langage de notre pays. Si ces trésors enfouis étaient déterrés et rendus au public par l’art d’un pauvre ménestrel comme moi ou quelque autre, il y aurait bien là de quoi dédommager de quelques égratignures de sabre ou masse d’armes, qu’auraient pu coûter ces trésors ; et je serais indigne du nom d’homme, et plus encore de celui de trouvère ou de troubadour[1], si je mettais en balance la perte d’une vie si fragile avec la chance de cette immortalité qui survivra dans mes vers après que ma voix cassée et ma harpe disjointe ne pourront ni faire entendre un air ni accompagner un chant. — À coup sûr, puisque votre âme peut ressentir une si noble émulation, vous avez le droit d’en parler hautement ; malheureusement je n’ai point rencontré jusqu’ici beaucoup de ménestrels portés comme vous à préférer la renommée à la vie. — Il y a en effet, noble guerrier, des ménestrels, et, avec votre permission, des chevaliers même, qui ne comprennent point un si noble choix. Il faut laisser à ces misérables la récompense qu’ils ambitionnent : aban-

  1. Le nom de maker, faiseur, est synonyme de poète dans la vieille langue écossaise. Celui de trouvère ou troubadour, finder (trouveur), a une signification semblable ; et dans presque tous les pays les poètes ont été désignés par des mots analogues, comme gens faisant usage de l’invention et de la création. (Note anglaise.)