Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donnons-leur la terre et les choses de la terre, puisqu’ils ne peuvent aspirer à cette gloire qui est la meilleure récompense des autres hommes. »

Le ménestrel prononça ces derniers mots avec un tel enthousiasme que le chevalier, tirant la bride pour arrêter son cheval, se mit à contempler Bertram avec une physionomie enflammée d’un même désir d’illustration ; et, après un court silence, il exhala tout ce qu’il éprouvait.

« Gloire, gloire à ton cœur, gai compagnon ! Je m’estime heureux de voir qu’il existe encore un pareil enthousiasme dans le monde. Tu as dignement gagné le groat du ménestrel[1] ; et si je ne puis te payer aussi largement que tu le mérites, selon moi, ce sera la faute de dame Fortune qui n’a récompensé mes fatigues, dans ces guerres écossaises, que par une mesquine paie d’argent écossais[2]. Il doit me rester une pièce d’or ou deux de la rançon d’un chevalier français que le hasard a fait tomber entre mes mains ; et cet or, mon digne ami, passera assurément dans les tiennes. Moi, Aymer de Valence qui te parle, je suis membre de la noble maison de Pembrocke ; et, quoique je ne possède aujourd’hui aucun domaine, j’aurai un jour, avec l’aide de Notre-Dame, des terres et un château où je trouverai bien quelque place pour loger un ménestrel comme toi, si tes talents ne t’ont pas d’ici là trouvé un meilleur patron. — Je vous remercie, noble chevalier, de vos généreuses intentions pour le moment, ainsi que de vos promesses pour l’avenir. Croyez bien cependant que je ne partage pas les inclinations sordides de beaucoup de mes confrères. — Dans le cœur de l’homme que tourmente la soif d’une sainte renommée, il doit y avoir peu de place pour l’amour de l’or. Mais tu ne m’as point encore dit quels motifs particuliers ont attiré tes pas errants dans ce pays sauvage. — Si je vous le disais, » répliqua Bertram, qui désirait éluder la question, comme touchant d’un peu trop près au but secret de son voyage ; « vous pourriez croire, sire chevalier, que je vous débite un panégyrique étudié de vos propres exploits et de ceux de vos compagnons d’armes ; et tout ménestrel que je suis, j’ai honte de l’adulation comme je rougirais de présenter une coupe vide aux lèvres d’un ami. Mais permettez-moi de vous dire en peu de mots que le château de Douglas et les actes de valeur dont il a

  1. Monnaie d’Écosse, qui valait environ un centime de la nôtre. a. m.
  2. La monnaie écossaise fut toujours bien inférieure en valeur à celle de l’Angleterre. a. m.