Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/41

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sions d’une manière aussi horrible qu’inouïe. — Peut-être, sire chevalier, avez-vous été témoin oculaire de cette aventure qui a fait tant de bruit ; peut-être avez-vous vu le garde-manger de Douglas. — Je n’ai pas précisément vu les brigands accomplir leur honteuse destruction ; mais j’ai assez aperçu leurs traces, pour ne jamais oublier le garde-manger de Douglas, et pour en garder toujours un souvenir d’horreur et d’abomination. Je vais vous raconter ce fait avec vérité, par la main de mon père et par mon honneur de chevalier ! Je vous laisserai à juger ensuite si c’était une action propre à concilier la faveur du ciel à ceux qui en furent les auteurs. Voici la version que je puis donner de cette histoire.

« Pendant deux années ou environ, une grande quantité de provisions avait été réunie de différents points ; le château de Douglas, nouvellement réparé, et, comme on le croyait, soigneusement défendu, fut désigné comme l’endroit où ces provisions devaient être mises en magasin pour le service du roi d’Angleterre ou de lord Clifford, lorsque l’un ou l’autre pénétrerait dans les Marches occidentales avec une armée anglaise. Cette armée devait aussi nous prêter assistance, je veux dire à mon oncle, le comte de Pembroke, qui, quelque temps auparavant, s’était jeté avec des forces considérables dans la ville d’Ayr, près de la vieille forêt calédonienne, où nous avions de chaudes escarmouches avec les Écossais insurgés. Eh bien ! sire ménestrel, il arriva que Thirlwall, tout brave et tout hardi soldat qu’il était, fut surpris dans le château de Douglas pendant la sainte messe, par ce même digne jeune homme, votre James Douglas. Il n’était nullement de bonne humeur, comme vous le pouvez croire : son père, qu’on nommait William-le-Hardi, ou William Longues-Jambes, ayant refusé de reconnaître le roi d’Angleterre à quelque condition que ce fût, avait été privé de sa liberté, et il venait de mourir dans une étroite prison à Berwick, ou, suivant d’autres, à Newcastle. La nouvelle de la mort de son père avait jeté le jeune Douglas dans une rage épouvantable ; et ce fut certainement sous cette influence qu’il accomplit son étrange action. Les immenses provisions qu’il avait trouvées dans le château l’embarrassaient beaucoup, ne pouvant, en présence d’une armée anglaise, ni les emporter, ni les faire consommer par sa petite troupe : dans cette perplexité, le diable, je pense, lui inspira un moyen de les rendre à jamais inutiles.

« Vous jugerez par vous-même si une pareille idée lui fut suggérée par un bon esprit ou par un génie infernal.