Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/23

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mond de Bérenger ; l’opinion que les alliances entre les Gallois et les Anglais avaient rarement été heureuses ; la pensée que la mesure qu’il méditait serait impopulaire aux yeux de ses vassaux, et leur semblerait une renonciation au système d’après lequel il avait agi jusqu’alors, toutes ces diverses circonstances l’empêchèrent de faire part de ses désirs à Raymond et à sa fille. L’idée que ses hommages pourraient être rejetés ne se présenta pas un instant à son esprit ; il était convaincu qu’il n’avait qu’à parler, et que la fille d’un châtelain normand, dont le rang et le pouvoir n’étaient pas de l’ordre le plus élevé parmi les nobles des frontières, devrait se trouver heureuse d’une proposition faite par le souverain de cent montagnes.

Il existait, il est vrai, une autre objection, qui, dans des temps moins éloignés, eût sans doute été de quelque poids. Gwenwyn était déjà marié. Mais Brengwain avait été stérile. Or, les souverains (et le prince gallois se mettait de ce nombre) se marient pour avoir une postérité ; et il y avait tout lieu de croire que le pape ne serait point assez scrupuleux pour refuser d’obliger un prince qui avait pris la croix avec un zèle vraiment extraordinaire, quoique, dans le fait, ses pensées eussent été plutôt pour Garde-Douloureuse que pour Jérusalem. Enfin, si Raymond Berenger était trop scrupuleux pour permettre qu’Éveline tînt temporairement le rang de concubine, ce que les mœurs du pays de Galles permettaient à Gwenwyn d’offrir comme un arrangement par interim, celui-ci n’aurait que peu de mois à attendre, pendant lesquels il solliciterait son divorce de la cour de Rome par l’intermédiaire de l’évêque de Saint-David ou de quelque autre intercesseur.

L’esprit agité de ces diverses pensées, Gwenwyn prolongea son séjour au château de Berenger depuis la fête de Noël jusqu’au jour des Rois, et endura la présence des chevaliers normands convives de Raymond, et qui se croyant, en vertu de leur rang de chevaliers, égaux aux plus puissants souverains, avaient peu d’égards pour la longue suite d’aïeux du prince gallois, qui, à leurs yeux, n’était que le chef d’une province à demi plongée dans la barbarie. Celui-ci, de son côté, les considérait à peu près comme une sorte de brigands privilégiés ; ce n’était qu’avec peine qu’il retenait la haine qu’il avait pour eux quand il les voyait donnant un libre cours à leurs exercices chevaleresques, exercices dont l’usage habituel les rendait de si terribles ennemis pour ses com-