Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/132

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Waverley annonça ensuite son intention de quitter après le dîner Tully-Veolan d’assez bonne heure pour pouvoir gagner la poste, où il voulait aller coucher ; mais il n’eut pas le courage d’insister en voyant le chagrin vrai et profond que cette résolution causait au brave et vieux gentilhomme. Le baron n’eut pas plus tôt fait consentir Waverley à rester encore quelques jours, qu’il s’occupa d’éloigner tous les motifs qui avaient pu le déterminer à le quitter comme il le voulait d’abord. « Je ne voudrais pas que vous pussiez penser, capitaine Waverley, que je prêche l’intempérance de paroles et d’exemple, parce que, dans notre joyeuse soirée d’hier, quelques-uns de mes amis étaient, sinon complètement ivres, ebrii[1], du moins un peu gais, ebrioli, qualifications que les anciens donnaient à ceux qui n’avaient plus leur raison, ou à ceux qui, comme le dit en anglais la phrase métaphorique et vulgaire, sont presque en pleine mer. Ne croyez pas, capitaine Waverley, qu’il soit question de vous, qui, en jeune homme prudent, avez plusieurs fois évité de boire ; ni de moi, qui, m’étant trouvé à la table de plusieurs grands généraux et maréchaux, ai su toujours, dans ces banquets solennels, porter mon vin avec réserve, et qui, hier soir, comme vous l’avez sans doute remarqué, n’ai point dépassé les bornes d’une honnête hilarité. »

On ne pouvait rien répondre à une décision aussi positivement établie par celui qui était indubitablement le juge le plus intéressé dans cette cause, quoique Édouard eût certainement, d’après ses propres observations, l’opinion que le baron était non seulement ebriolus, mais même près de devenir ebrius, ou, en bon anglais, qu’il était incomparablement le plus ivre de la compagnie, en exceptant peut-être son antagoniste le laird de Balmawhapple.

Toutefois, ayant reçu sur sa sobriété le compliment attendu ou plutôt demandé, le baron continua : « Non, monsieur ; quoique je sois d’une forte constitution, j’ai en horreur l’ivrognerie, et je désapprouve ceux qui n’avaient le vin que gulœ causâ[2], pour la satisfaction du palais. Néanmoins je ne suis nullement de l’avis de la loi de Pittacus de Mitylène, qui infligeait un double châtiment au crime commis sous l’influence du Liber Pater ; et je n’admets pas entièrement les reproches que Pline le jeune adresse aux

  1. D’ebrius, ivre ; comme ebrioli vient d’ebriotus, à demi ivre ou entre deux vins. a. m.
  2. Par raison de gourmandise. a. m.