Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux au sein de sa famille. Quel bonheur, Philippe, pour nous autres pauvres diables, d’avoir un moment de repos entre le camp et le tombeau, lorsque nous avons pu échapper à l’acier, au plomb meurtrier et aux fatigues d’une vie continuellement exposée aux dangers ! Un vieux soldat retraité est toujours un homme aimé et respecté. Si parfois il est grondeur, on le lui pardonne. Qu’un médecin, un homme de loi, un ecclésiastique se plaigne de gagner trop peu ou de ne pas obtenir d’avancement, cent bouches s’ouvriront à la fois pour lui répondre que son incapacité en est cause ; mais le plus stupide vétéran, qui pour la troisième fois fait un vieux récit de sièges, de batailles, ou quelque conte bleu, est sûr d’être écouté avec attention ; on le plaint, on murmure avec lui quand, retroussant sa moustache, il parle avec indignation des jeunes gens qui lui ont été préférés. Vous et moi, Delaserre, qui sommes étrangers tous les deux (car quel avantage retirerais-je d’être Écossais, puisque quand bien même je pourrais prouver mon origine, à peine si un Anglais me reconnaîtrait pour son compatriote), nous pouvons nous vanter d’avoir payé notre avancement de notre sang, acheté nos grades à la pointe de l’épée. Les Anglais sont un peuple bien bizarre ! pendant que, dans leur orgueil national, ils affectent de mépriser les autres nations, ne laissent-ils pas ouvertes des portes de derrière, par lesquelles nous autres étrangers, moins favorisés de la nature, nous pouvons arriver à partager leurs avantages ? Je les comparerais volontiers à cet adroit aubergiste qui vante la bonté et la saveur d’un ragoût qu’il est enchanté de débiter promptement. En un mot, vous que votre famille orgueilleuse, et moi que la rigueur du sort ont faits officiers de fortune, nous pouvons nous dire avec plaisir que si dans l’armée anglaise nous restons au milieu de la carrière, ce sera seulement faute d’argent pour acquitter le droit de péage, et non parce que la route nous aura été fermée. C’est pourquoi, si vous pouvez persuader au petit Weischel d’être des nôtres, pour Dieu ! qu’il achète seulement une commission d’enseigne, qu’il fasse son devoir, et qu’il s’en rapporte au destin pour son avancement.

« Maintenant, j’espère que vous mourez d’envie d’apprendre la fin de mon roman. Je vous ai dit qu’obligé de suspendre mes promenades sur le lac, j’avais jugé à propos de m’absenter pour quelques jours ; je fis donc un petit voyage à pied dans les montagnes du Westmoreland, en compagnie d’un jeune artiste anglais nommé Dudley, dont j’ai fait la connaissance. C’est un charmant garçon ;