Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/349

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Je puis suspendre le cours du sang dans les veines de celui qui vit dans l’opulence après avoir dépouillé l’orphelin, après avoir voulu l’écraser dans son berceau… Écoutez-moi… Par ordre de votre père, on a retiré les troupes qui étaient à la douane de Portanferry, et elles sont venues au château d’Hazlewood, parce qu’il craint que sa maison ne soit attaquée cette nuit par des contrebandiers. Personne ne songe à toucher à sa maison : son sang est bon, son sang est noble… Je ne parle pas de lui particulièrement ; mais, encore une fois, on n’a nul dessein de lui nuire. Renvoyez promptement les cavaliers à leur poste. Ils peuvent avoir de la besogne cette nuit… Oui, ils en auront, les coups de fusil vont retentir, les sabres vont briller au clair de la lune. — Bon Dieu ! que voulez-vous dire ? Vos paroles et vos manières me feraient croire que vous êtes folle, et cependant il y a quelque sens caché dans vos discours. — Je ne suis pas folle ! s’écria l’Égyptienne ; on m’a emprisonnée comme folle, fouettée comme folle, bannie comme folle ; mais je ne suis pas folle. Écoutez, Charles Hazlewood d’Hazlewood : gardez-vous rancune à celui qui vous a blessé ? — Non, femme. Dieu m’en préserve ! Mon bras est guéri, et j’ai toujours dit que le coup était parti par accident. Je voudrais pouvoir le dire à ce jeune homme lui-même. — Alors suivez mes conseils, et vous lui ferez plus de bien qu’il ne vous a fait de mal ; car si on l’abandonne à ses ennemis, ce sera demain matin un cadavre sanglant, ou un homme banni. Mais il y a quelqu’un là-haut. Faites ce que je vous conseille, renvoyez les soldats à Portanferry. Il n’y a pas plus à craindre pour le château d’Hazlewood que pour celui de Crufel-Fell. » Et elle disparut avec sa vitesse ordinaire.

Il semble que la vue de cette femme, que le mélange de bizarrerie et d’enthousiasme de toutes ses actions, manquaient rarement de produire la plus forte impression sur ceux à qui elle s’adressait. Ses paroles, quoique singulières, étaient trop claires et trop intelligibles pour qu’on la crût folle, mais aussi trop véhémentes, trop bizarres, pour être dictées par un esprit sain. Elle semblait agir par l’influence d’une imagination fortement agitée plutôt que dérangée, et il est étonnant combien, dans ces deux cas, était grand l’effet qu’elle produisait sur ses auditeurs. On peut expliquer ainsi comment on prêtait attention à ses demi-mots bizarres et mystérieux, comment même on suivait ses conseils. Il est certain, du moins, que le jeune Hazlewood fut profondément ému de son apparition subite et de son ton impératif : il hâta le pas de son cheval. Il faisait déjà