Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/108

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tion lui présentait miss Wardour sous des traits estimables, moins il sentait pouvoir se consoler de la perte de ses espérances. Il savait bien que sur quelques points il avait le moyen de dissiper les préjugés qu’elle nourrissait à son égard ; mais dans cette extrémité même, et avant de s’exposer à lui paraître importun par de tels éclaircissemens, il résolut de s’assurer d’abord, suivant son premier projet, qu’elle les désirait elle-même. Cependant, en examinant les choses de tous les côtés, il ne pouvait se déterminer à abandonner tout espoir ; car, à travers la surprise et la gravité d’Isabelle lorsqu’il lui avait été présenté par Oldbuck, il avait remarqué une légère nuance d’embarras, et en y pensant bien, il se pouvait que ce fût pour le cacher qu’elle avait donné à son regard cette expression sévère. Il ne pouvait se résoudre à renoncer à un amour qui lui avait déjà causé tant de peines ; et des projets aussi romanesques que la tête qui les avait enfantés se succédèrent les uns aux autres dans son esprit, et, long-temps après qu’il se fut couché, l’empêchèrent de jouir du repos dont il avait tant besoin. Enfin, lassé par l’incertitude et les obstacles dont chacun de ses plans était accompagné, il se décida au pénible effort de vaincre sa passion, de chasser l’amour de son cœur, comme le lion secoue les gouttes de rosée tombées sur sa crinière, ainsi que le dit Shakspeare, et de reprendre les études et la carrière que cet amour si mal payé lui avait fait abandonner depuis si long-temps, et chercha à s’affermir dans cette dernière résolution par tous les motifs que l’orgueil, aussi bien que la raison, put lui offrir. « Elle ne supposera pas, dit-il, que me prévalant d’un service accidentel rendu à elle et à son père, je veuille chercher à attirer sur moi une attention à laquelle elle ne me croit aucun titre. Je ne la verrai plus, je retournerai dans ce pays où, s’il n’existe pas de femme qui la surpasse en beauté, il en est peut-être du moins qui l’égalent et dont l’orgueil est moins repoussant. Demain je veux dire adieu à ces froids climats et à celle que j’ai trouvée plus froide et plus sévère encore. » Après avoir rêvé quelque temps à cette héroïque résolution, il céda enfin à l’épuisement et à la fatigue, et en dépit de sa colère, de ses doutes et de ses inquiétudes, il finit par s’endormir.

Il est rare que le sommeil qui suit des agitations aussi violentes soit profond ou rafraîchissant. Celui de Lovel fut troublé par mille visions confuses et bizarres. Tantôt il était un oiseau, tantôt un poisson, ou du moins il volait comme l’un et nageait comme l’autre, facultés qui lui eussent été fort utiles quelques heures auparavant.