Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/109

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Puis miss Wardour était une sirène ou un oiseau de paradis ; son père était un triton ou une chouette, et Oldbuck alternativement un marsouin ou un cormoran. Ces agréables images étaient accompagnées de tous les écarts ordinaires aux rêves qu’on fait pendant la fièvre ; l’air refusait de le porter… l’eau le brûlait… les rochers contre lesquels il était jeté lui semblaient des coussins de plumes… tout ce qu’il entreprenait échouait de quelque manière inattendue et étrange, et tout ce qui attirait son attention, lorsqu’il voulait l’examiner de plus près, subissait quelque métamorphose effrayante ou bizarre, tandis que son esprit conservait tout le temps une espèce d’instinct de l’illusion dont il s’efforçait en vain de s’affranchir par le réveil… tous symptômes de fièvre, et que ceux qui sont poursuivis par le cauchemar (appelé par les savans Ephialtes[1]) ne connaissent que trop bien. À la fin, pourtant, cette fantasmagorie décousue et sans suite prit une forme plus régulière, si toutefois l’imagination de Lovel (car ce n’était pas la faculté qui lui manquait le moins) n’arrangea pas à son réveil insensiblement, sans intention, et sans même s’en apercevoir, une scène dont son sommeil ne lui avait présenté qu’une ébauche plus confuse ; ou peut-être encore l’agitation de la fièvre l’aida-t-elle à former cette vision. Mais laissant cette discussion aux savans, nous dirons qu’après une suite d’images extravagantes, telles que celles que nous avons décrites, notre héros (car il faut bien avouer que c’est notre héros) reprit assez de connaissance des localités pour se rappeler où il était, et l’ameublement de la chambre vint se représenter de nouveau à ses yeux chargés de sommeil. Ici, qu’il me soit permis de protester encore une fois que, si dans cette génération spirituelle et sceptique il existe encore des gens qui aient conservé assez intacte la bonne foi des anciens temps pour croire que ce qui va suivre fut une vision plutôt qu’un rêve, ce n’est pas moi qui attaquerai leur croyance. Lovel était donc, ou s’imaginait être les yeux tout grands ouverts dans la chambre verte, et les fixant sur la flamme passagère et étincelante que jetaient de temps à autre les restes de fagots non encore brûlés, à mesure qu’ils retombaient l’un après l’autre sur le monceau de braise rouge qu’avait formé, en s’affaissant, le bois qui venait d’être consumé. Insensiblement la légende d’Aldobrand Oldenbuck et ses mystérieuses visites vinrent se retracer à son esprit, et y excitèrent, comme cela arrive souvent

  1. Mot pour exprimer le cauchemar, formé du grec επὶ, sur, et ἇλλομαι, je saute. C’est un démon de l’ancienne mythologie. a. m.