Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/130

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la bonté de dire un mot au meunier Saundie Netherstane[1], pour qu’il enchaîne son gros chien. Je ne voudrais pas pourtant qu’il maltraitât la pauvre bête, qui ne fait que son devoir en aboyant après un vieux mendiant comme moi. J’aurais bien encore à vous prier d’autre chose, mais peut-être trouverez-vous que c’est trop de hardiesse à quelqu’un comme moi de vous parler de cela.

— De quoi s’agit-il, Édie ? si la chose vous regarde, et qu’elle soit en mon pouvoir, je vous promets qu’elle sera faite.

— Elle vous regarde seule ; elle est en votre pouvoir, et dussiez-vous être fâchée, il faut que je vous la dise : vous êtes bien belle, et surtout bien bonne, trop bonne pour n’être pas sensible. Croyez-moi, ne rebutez donc plus le jeune Lovel comme vous le fîtes, il y a quelque temps, dans l’avenue de Brierybank[2], où je vous vis et vous entendis tous deux, quoique vous ne vous en soyez point aperçus. Soyez moins sévère avec ce jeune homme, car il vous aime bien ; et c’est à lui seul, et non à ce que j’ai pu faire, que sir Arthur et vous avez dû la vie hier soir. »

Il prononça ces mots à voix basse mais distinctement, et, sans attendre de réponse, s’avança vers une porte basse qui conduisait aux salles des domestiques, et entra ainsi dans la maison.

Miss Wardour resta un moment ou deux dans la même position où elle avait écouté les dernières et étranges paroles du vieillard ; appuyée contre les barreaux de la fenêtre, incapable de se décider à répondre par un seul mot à un sujet si délicat, jusqu’à ce que le mendiant eût disparu. Elle se sentait douloureusement affectée en pensant que le secret de l’entrevue et de la conversation qu’elle avait eues avec ce jeune étranger était au pouvoir d’un individu qui appartenait à la dernière classe où une jeune demoiselle eût voulu choisir un confident, de quelqu’un enfin qui faisait, pour ainsi dire, dans le pays, profession de commérage. Elle n’avait, à la vérité, aucune raison de croire que le vieillard pût jamais rien avancer volontairement pour la blesser, bien moins encore pour lui nuire ; mais la liberté seule avec laquelle il lui avait parlé sur ce sujet indiquait assez l’absence de cette délicatesse qu’on ne pouvait guère en effet s’attendre à trouver en lui. D’après cela, elle avait lieu de

  1. Mot formé de nether pour under, dessous, et de stane pour stone, pierre ; comme qui dirait le meunier Saundie (pour Alexandre) Pierre-de-dessous, par allusion à la pierre stationnaire d’un moulin sur lequel roule la meule pour broyer le grain. a. m.
  2. Mot formé de briery, plein de ronces, et de bank, rivage. a. m.